Nicolas Marie Fournier de La Contamine

De Marquerose
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Biographie d'après Fisquet

Fils de Philippe Fournier et de Marie-Suzanne de Borsan, Marie-Nicolas Fournier naquit le 27 décembre 1760 à Gex, petite ville qui appartenait alors au diocèse de Genève, et qui fait actuellement partie du diocèse de Belley (Ain). Après avoir commencé ses études ecclésiastiques au séminaire du Saint-Esprit à Paris, il fit tous ses cours de théologie au séminaire de Saint-Sulpice. La licence dont il fut le premier était celle de 1784 à 1785. A cette licence appartenaient aussi M. Molin, mort en 1825 évêque de Viviers, les abbés Roger et Brion qui furent grands vicaires, le premier à Sens, le second à Nancy ; M. de Poulpiquet, évoque de Quimper ; Bonnel, évoque de Mende ; de Bouille, évêque de Poitiers ; Micolon de Guérines, évêque de Nantes ; l'abbé Auge, directeur du collège Stanislas, puis vicaire général de Paris ; l'abbé Bochard, vicaire général de Lyon ; l'abbé de Champagny, mort proviseur du lycée de Lyon en 1827 ; l'abbé Mauduit, mort grand vicaire de Quimper ; l'abbé Gaston de Pollier, aumônier du comte d'Artois, et d'autres ecclésiastiques distingués.

Au sortir de sa licence en 1785, l'abbé Fournier fut choisi pour grand vicaire par le vénérable de la Tour du Pin-Montauban, qui occupait le siège métropolitain d'Auch. Revenu peu de temps après à Paris pour prendre le bonnet de docteur, il entra en 1789 dans la congrégation de Saint-Sulpice. L'abbé Emery, son cousin, qui en était supérieur général, l'envoya professer la théologie morale au séminaire d'Orléans ; mais le refus de prêter serment à la constitution civile du clergé le priva de sa chaire. Il fut accueilli chez M. Claude Deloynes d'Autroche, riche propriétaire d'Orléans (mort le 17 novembre 1823,- et connu par ses traductions eu vers français des Odes d'Horace, de l'Enéide de Virgile, du Paradis perdu de. Milton, de la Jérusalem délivrée du Tasse, et des Psaumes). L'abbé Fournier passa tout le temps des orages révolutionnaires dans la terre de la Porte, à peu de distance d'Orléans, tantôt caché, tantôt se montrant, selon que les circonstances étaient plus ou moins favorables. Lorsque l'ordre se fut rétabli en France, cédant aux instances de l'abbé Emery, il alla rejoindre à Paris, en septembre 1800, ses anciens confrères, qui venaient d'établir un séminaire dans la rue Saint-Jacques. L'abbé Fournier fut pendant quelque temps chargé de la classe de morale.

Quoique membre de la Compagnie de Saint-Sulpice, il obtint de M. Emery, à raison des circonstances, la permission de prêcher dans diverses églises de Paris, et il s'en acquitta avec un talent et un succès remarquables. Il donna, en 1801, le Carême à Saint-Roch, et comme son genre de prédication était très-populaire, son geste animé et pittoresque, sa voix forte et sonore, on accourait en foule à ses sermons. Mais il se fit en même temps beaucoup d'ennemis par la liberté et la véhémence avec laquelle il s'élevait contre les erreurs et les crimes de la révolution. Prêchant un jour sur le jugement dernier, après avoir fait passer à sa gauche les payens, les Juifs, les hérétiques et les incrédules, il ne manqua pas d'y placer aussi les révolutionnaires. Le vendredi-saint, 3 avril, il s'attacha à prouver que tous les outrages commis contre Jésus-Christ dans sa passion, avaient été renouvelés pendant la révolution. Les prêtres juifs étaient, selon son explication, les ecclésiastiques assermentés et apostats ; les pharisiens étaient les journalistes ; les scribes étaient les avocats et les procureurs qui avaient joué un si grand rôle dans la révolution. Dans un autre sermon, il immola tellement les révolutionnaires au ridicule par ses sanglantes ironies, qu'en descendant de chaire, il fut porté comme en triomphe, jusqu'à la sacristie, par plusieurs anciens émigrés qui lui disaient avec enthousiasme : « Monsieur l'abbé, la révolution nous a tous ruinés, mais aujourd'hui, vous nous avez consolés de tous nos malheurs. » Ses ennemis ne manquèrent pas de l'accuser d'imprudence, d'exaltation, de fanatisme ; ils le peignirent comme un homme dangereux, dans les circonstances, par le genre de son éloquence, propre à rappeler des souvenirs qu'il fallait au contraire, disaient-ils, s'efforcer d'effacer, et à réveiller des haines mal éteintes.

L'abbé Fournier fut en conséquence dénoncé à la police et au premier consul Bonaparte, qui ne pouvait que redouter un homme capable d'exercer une telle influence, et qui donna des ordres pour l'arrêter, comme un cerveau dérangé qui égarait la multitude. C'est ce qui eut lieu en effet à la suite d'un sermon du même genre qu'il prêcha le jour de la Pentecôte, 24 mai 1801, à Saint-Germain-l’Auxerrois. Conduira à Bicêtre, il y fut enfermé dans une loge de fou, après qu'on lui eut rasé la tête et qu'on l'eut revêtu d'un sarreau de toile avec des sabots aux pieds. Ses amis ignorèrent d'abord ce qu'il était devenu ; mais, à force de recherches, ils parvinrent à découvrir le lieu de sa détention, et le traitement indigne dont il était l'objet. M. Emery ne pouvant pénétrer lui-même dans sa prison, s'empressa de lui envoyer une pieuse demoiselle, appelée Sophie Jouen, pour le consoler et lui procurer tous les secours dont il avait besoin. En même temps, il faisait agir en sa faveur toutes les personnes de sa connaissance qui pouvaient avoir quelque crédit, et lorsque, fatigué de tant de réclamations, Bonaparte eut fait transférer le prisonnier dans la citadelle de Turin, M. Emery ne le perdit pas de vue, lui procura de l'argent, et enfin, obtint son élargissement, par l'entremise du cardinal Fesch, qui se rendit sa caution auprès du Premier Consul, et l'appela dans le chef-lieu de son diocèse. A peine le bruit de la réclusion de l'abbé Fournier à Bicêtre s'était-il répandu dans Paris, qu'un mouvement général d'étonnement et d'indignation se manifesta de toutes parts. Bientôt on vit paraître deux pamphlets qui faisaient ressortir tout ce qu'il y avait de ridicule à vouloir faire passer pour fou, un homme dont tout Paris admirait l'éloquence. Le premier de ces pamphlets était intitulé : Un petit mot sur la détention de Marie-Nicolas Fournier, prédicateur catholique. En s'appliquant à faire ressortir de son mieux, tout l'odieux de cette mesure, l'auteur affectait, par une sorte d'ironie, d'en attribuer la cause à une erreur involontaire. L'autre pamphlet, ayant pour titre : Arrêté du Ministre de la police générale, était dirigé spécialement contre Fouché et propre à le piquer au vif. M. Emery, uni par des liens de parenté et de confraternité avec l'abbé Fournier, fut soupçonné d'être l'auteur et le distributeur de ces écrits. Il n'en fallait pas davantage pour que le ministre de la police donnât l'ordre de l'arrêter et de faire chez lui les perquisitions les plus minutieuses. Cette visite domiciliaire terminée, M. Emery fut conduit à la préfecture de police, où on lui fit subir trois interrogatoires les 5, 6 et 7 juillet 1801. Il ne fut mis en liberté qu'après dix-huit jours de détention, et il est remarquable que dans le rapport fait sur les pièces et documents saisis chez lui, on ne fit aucune mention d'un manuscrit intitulé : Mémoire pour le citoyen Fournier, prédicateur, condamné à être renfermé à l'hospice des fous à Bicêtre. C'était, d'après les explications données par M. Emery, dans son interrogatoire que nous avons sous les yeux, un mémoire rédigé par lui de l'avis d'un des trois Consuls (Cambacérès, croyons-nous), et qu'il avait présenté à tous les trois, ainsi qu'à deux conseillers d'État, sans en faire prendre connaissance à aucune autre personne.

Retenu à Lyon par le cardinal Fesch, l'abbé Fournier prêcha dans cette ville le Carême de 1803, à la demande de ce prélat, et y fit une sensation prodigieuse. La vaste église métropolitaine. de Saint-Jean ne pouvait contenir la foule immense qui s'y rendait. On assure que ses prédications produisirent des fruits étonnants, et que plusieurs personnes de distinction furent ramenées à la vérité et à la religion. On dit aussi que de nouvelles mesures de sévérité auraient encore été prises par la police, sans le puissant crédit du cardinal-archevêque qui se déclara ouvertement le défenseur et l'apologiste de l'abbé Fournier.

Enfin, M. de la Tour du Pin-Montauban, ancien archevêque d'Auch, étant devenu, depuis le Concordat, évêque de Troyes, réclama l'abbé Fournier, et le choisit cette même année pour un de ses grands vicaires. Sa nomination fut agréée par le Gouvernement. Quelque temps après, il retourna à Paris où il se fit entendre de nouveau dans les diverses chaires de la capitale.

Il prêcha en 1805 le Carême à Saint-Jacques du Haut-Pas, et en même temps à l'église métropolitaine. Le concours fut également partout prodigieux. Il se fit entendre plusieurs fois aussi à Saint-Eustache, et ses sermons sur les mystères, sur l'Église et sur plusieurs autres sujets étaient tous marqués au même coin. C'était une lutte continuelle et vive contre la philosophie et contre les philosophes, contre tous les ennemis de la ' religion et de l'Église, contre ceux surtout qui, pendant la révolution, s'étaient portés à tant de déplorables excès. C'était là le thème constant de l'abbé Fournier, et ce genre était analogue à son talent. Il prouva cependant souvent qu'il pouvait traiter avec succès tout autre genre : il attaqua tous les novateurs avec beaucoup de liberté-, il était fort, nerveux, terrassant, et maniait avec succès une arme qu'on juge ordinairement proscrite dans la chaire, l'ironie, et il le faisait avec une adresse et un bonheur étonnants. « II fallait un tel homme après de tels malheurs, disait de lui l'abbé Coustou, c'est là l'orator concitatus de Cicéron, ce n'est pas de lui qu'Horace avait dit : Sectantem grandia nervi deficiunt animique vires. »

Un an s'était à peine écoulé que l'ancien prisonnier de Bicêtre était nommé chapelain, puis aumônier de l'Empereur Napoléon Ier. Un décret impérial du 15 juillet 1806 appela l'abbé Fournier à l'évêché de Montpellier vacant par la démission de M. Rollet. Il eut à cette occasion, avec Napoléon, une longue conférence dont on parla beaucoup dans le temps, et dans laquelle le nouveau prélat dut s'expliquer sur un grand nombre de difficultés concernant la religion. Il y fut question, entre autres choses, du salut des payens et des affaires des protestants. Ceux-ci étaient assez nombreux dans le diocèse de Montpellier, et l'Empereur recommanda à M. Fournier d'user de ménagements à cet égard.

M. Emery croyant que l'abbé Fournier ferait beaucoup plus de bien dans la chaire que dans la congrégation de Saint-Sulpice, l'avait dégagé des liens qui l'attachaient à la Compagnie ; mais cette séparation, toute pénible qu'elle fût au cœur du vénérable supérieur général, ne lui était néanmoins rien de son attachement pour M. Fournier, qu'il savait n'être dirigé que par des intentions droites. On en a une preuve touchante dans la liberté avec laquelle il lui donna, à l'occasion de sa nomination à l'évêché de Montpellier, les avis qu'il lui croyait nécessaires :

" Je ne veux pas tarder, lui disait-il, à vous donner quelques conseils. Le premier et le plus important est de vous pénétrer dès à présent de la grandeur de votre état, des obligations qu'il vous impose, d'en faire l'objet de votre méditation de tous les jours, de toutes les heures, et de vous rappeler sans cesse ces paroles du saint apôtre : Oportet episcopum irreprehensibilem esse, sobrium, prùdentem, pudicum, ornatum. Souvenez-vous que dès à présent, vous allez être en spectacle, et par conséquent que n'ayant rien, par la miséricorde de Dieu, à réformer dans le fond de votre conduite, vous devez réformer dans l'extérieur tout ce qui pourrait donner des impressions moins favorables. Votre gaieté, surtout à table, paraît trop. Vous voulez plaisanter sans cesse. Vous dissertez trop sur les mets qu'on sert à table ; ceux qui ne vous connaissent pas croiraient que vous êtes un homme de bonne chère. Ce n'est de votre part que plaisanterie, bonne humeur, mais je sais qu'on n'en pense pas toujours de même, et qu'à Lyon, le prédicateur perdit beaucoup dans ses repas et ses sociétés particulières. En général, on dit que vous avez les manières trop cavalières. Je crois ne devoir pas perdre un moment pour vous donner ces avis, parce que vous allez être invité chez les ministres, et vous serez très-observé. L'Apôtre disait à Tite ce que je vous répète : In omnibus teipsum prœbe exemplum bonorum operum in doctrina, in integritate, in gravitate, verbum sanum irrépréhensible, etc. Vous n'avez aucune attention à faire à l'in doctrina, in integritate, mais vous avez à être un peu en garde sur les deux autres. Vous savez de quel esprit et de quel cœur, part ce qui précède. »

Pendant tout le reste de sa vie, M. Emery continua à M. Fournier ses conseils et sa direction, et les réponses de ce prélat prouvent qu'il en sentait tout le prix : « Vos lettres, lui écrivait-il le ler avril 1809, sont véritablement du meilleur des pères, et pleines d'une tendresse et d'une sollicitude qui me pénètrent de reconnaissance et d'amour. »

Le souverain Pontife ayant donné, le 26 août 1806, ses bulles d'institution canonique, M. Fournier reçut l'onction épiscopale, en même temps que M. de Boulogne, évêque de Troyes, dans la chapelle du palais des Tuileries, le 8 décembre suivant, des mains du cardinal Joseph Fesch, archevêque de Lyon, grand-aumônier de l'Empire, assisté de Louis Charrier de la Roche, évêque de Versailles, et de Maurice de Broglie, évêque d'Acqui. Le 23 du même mois, l'abbé Coustou, vicaire général, prit en son nom possession du siège, et le 15 janvier 1807, M. Fournier fit en personne son entrée solennelle à Montpellier. Le lendemain, l'abbé Coustou, à la tête du chapitre, le harangua et présida à son installation dans la cathédrale. Le dimanche 18 du même mois, le prélat officia pontificalement à Saint-Pierre, et après la messe, monta en chaire, où il parla de l'autorité sainte des évoques et de leurs devoirs. La foule immense qui l'écoutait remerciait Dieu avec des larmes de joie, de ce qu'il avait enfin visité son peuple. On trouvait M. Fournier égal à la réputation qui l'avait précédé, tel que l'avaient dépeint ceux qui l'avaient entendu dans les premières chaires de la capitale.

L'administration de M. Fournier commençait sous d'heureux auspices. Dans son premier discours, il avait annoncé une quête générale dans la ville de Montpellier, pour les besoins de son séminaire. Dès le lendemain, il la commença, accompagné de l'abbé Coustou et du curé dont on parcourait la paroisse. Le résultat dépassa toutes les espérances, et le dimanche de la Passion, 15 mars 1807, un peuple tout entier, dont les sentiments religieux avaient été puissamment ranimés par les prédications de son évêque, pendant le Carême, suivait ce prélat, allant bénir solennellement et ouvrir son séminaire à l'étude, à la piété, aux vertus qui devaient s'y fortifier, s'y développer pour le salut des âmes et la gloire du Très-Haut.

Immédiatement après Pâques, M. Fournier alla visiter pastoralement le département du Tarn, compris dans la circonscription du diocèse de Montpellier, et ne tarda pas à voir son administration prendre une allure régulière, calme et sérieuse, après avoir heureusement échappé aux embarras, aux chocs, aux froissements qui accueillaient toute création nouvelle. Le séminaire se peupla et commença à donner de légitimes espérances aux amis de la religion : le bien se fit, les passions haineuses, les préventions injustes disparurent, les prêtres multiplièrent leurs efforts pour suppléer à leur petit nombre : ils trouvaient dans leur évêque une affection sincère et des consolations efficaces ; aussi, sous cet illustre prélat, les interdits furent-ils rares, et si justement infligés que l'opinion publique elle-même les sanctionna. Nourri longtemps sur les bancs de la Sorbonne, des traditions anciennes, M. Fournier connaissait parfaitement et respectait les droits de chaque position dans tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique : il était jaloux de l'honneur de son clergé, et jamais il ne lui vint en pensée d'employer les peines canoniques à venger ses injures particulières. Si quelques esprits inquiets ou frondeurs le blâmaient quelquefois, il ne s'en alarmait point, et ne rendait pas moins de justice à leur dévouement et à leur vertu.

M. Fournier ne s'absentait de son diocèse que pour venir à son tour faire son service auprès de l'Empereur. Il logeait alors chez le cardinal Fesch. L'un des Pères du concile national ouvert à Paris en juin 1811, sous la présidence de ce prince de l'Église, il attira sur lui la disgrâce du monarque par la noble conduite qu'il y tint. Comme tant d'autres, M. Fournier, malgré sa haute intelligence, avait cru un instant à un rapprochement facile entre les deux puissances : il n'eut pas lieu cependant, et ce furent les craintes de ceux qu'on appelait alarmistes qui se réalisèrent. « Nous avons ouvert hier notre concile, disait-il dans une lettre, avec toute la pompe et la solennité possibles : rien n'était plus majestueux, et ce spectacle a produit la plus heureuse sensation. N'écoutez point les faux bruits que l'on peut faire courir, et ne vous laissez pas alarmer. Nous avons la pleine confiance que tout s'arrangera de la manière la plus pacifique, et que nous serons le canal de la médiation entre les deux puissances. »

Cette même année, et le 28 avril, M. Fournier avait assisté à ses derniers moments le vénérable M. Emery, supérieur général de la Congrégation de Saint-Sulpice qu'il considérait comme un père, et qu'il avait aidé de sa bourse dans le rachat du parc et de la maison de Lorette à Issy. Ce fut lui qui, en qualité de parent, célébra la messe aux obsèques de cet illustre prêtre, et après les cérémonies de la sépulture, il prononça sur sa tombe un discours très-pathétique où il fit l'éloge du défunt, qu'il peignit comme un ange de paix, de lumière et de consolation. Il termina en exhortant les assistants à marcher sur ses traces.

Le 14 janvier 1812, M. Fournier rassembla dans son palais épiscopal, le chapitre de la cathédrale pour examiner les usages et les statuts d'après lesquels se célébrait l'office canonial. Un règlement provisoire fait par l'abbé Coustou avait été approuvé en 1804 par M. Rollet. En 1810, on en avait rédigé un autre, et une ordonnance en avait prescrit l'observation. Malgré la lenteur et la maturité des débats qui en avaient précédé l'adoption, l'expérience avait déjà prouvé la nécessité de faire subir â ce règlement des modifications nombreuses. M. Fournier chargea l'abbé Coustou de lui présenter un rapport étendu et motivé sur tous les articles sujets encore à réclamations ou à contestations. Ce rapport fut mis sous les yeux du chapitre par le prélat, et après un examen sérieux, dans lequel chacun des membres du chapitre défendit son opinion et fit ses observations avec autant de franchise que de liberté, les statuts et règlements du chapitre de la cathédrale furent définitivement votés, arrêtés et sanctionnés par l'autorité épiscopale.

Lorsqu'après l'invasion des armées alliées en France, Napoléon Ier se fut décidé à rendre la liberté à Pie VII détenu depuis deux années au palais de Fontainebleau, le souverain Pontife reprit la route de l'Italie. On apprit tout à coup à Montpellier qu'il devait y arriver le 5 février 1814. La veille, M. Fournier, accompagné de l'abbé Coustou, alla coucher à Gigean afin de voir le Saint-Père à son passage. Il eut cette consolation au relai de poste de ce village. Le Pape ouvrit lui-même la portière de sa voiture, et tendit gracieusement la main au prélat, qui la prit et la retint longtemps dans les siennes en la baisant. L'évêque et son grand vicaire accompagnèrent Pie VII jusqu'à Lunel où il passa la nuit ; le lendemain, ils furent de nouveau admis à présenter leurs hommages à Sa Sainteté, et assistèrent à ses côtés, à la messe que son aumônier, l'archevêque d'Edesse, dit dans une pièce de la maison où le Pape était descendu, et où un autel avait été dressé. Après avoir donné sa bénédiction à la ville de Lunel, dont la population tout entière était, malgré un froid de six degrés, rassemblée sous les fenêtres de l'hôtel du Palais-Royal, le souverain Pontife se remit en route. M. Fournier se rendit à l'église qu'une foule immense envahit aussitôt. 11 monta en chaire, et parla avec son éloquence accoutumée, de la dignité du chef de l'Église et des sentiments qui lui sont dus. Vingt fois, pendant ce discours, il fit tressaillir son auditoire ; vingt fois, ses paroles, courageuses comme elles l'avaient été quatorze ans auparavant, ses protestations véhémentes contre les indignes traitements dont le successeur de saint Pierre avait été l'objet de la part du Gouvernement, firent craindre pour la liberté du prélat. Mais on fut bientôt rassuré à cet égard. Deux mois s'étaient à peine écoulés, que Louis XVIII remontait sur le trône de ses pères.

Dans les premiers jours de mai, l'évêque de Montpellier se rendit à Narbonne pour y saluer le duc d'Angoulême débarqué à Bordeaux depuis le 12 mars, et au mois de septembre suivant, reçut, à Montpellier, M. le comte d'Artois, depuis Charles X.

M. Fournier, nommé le 8 août 1817 à l'archevêché de Narbonne qu'il était question de rétablir, revint à Paris et s'y fit entendre dans plusieurs églises ; mais le Concordat de cette année n'ayant point reçu d'exécution, il retourna sans regret à Montpellier, après avoir adhéré et souscrit à la lettre adressée, le 30 mai 1819, au Pape par les cardinaux, archevêques et évoques, sur l'état de l'Église de France.

Compris dans la commission d'évêques et d'ecclésiastiques créée par l'ordonnance royale du 20 juillet 1825, pour l'établissement, à Paris, d'une maison centrale des hautes études ecclésiastiques, M. Fournier reparut dans la capitale, fut un des signataires de la déclaration des évoques du 3 avril 1826 su l'exposition du sentiment concernant l'indépendance de la puissance temporelle, et voyant que le projet relatif à la Sorbonne ne se réalisait pas, il revint dans son diocèse, et n'en sortit plus. Le jeune clergé trouva toujours, dans M. Fournier, un père et le modèle des vertus sacerdotales ; aussi dans la retraite pastorale que Mgr Mermilliod, évêque d'Hébron, a prêchée à Montpellier en septembre 1868, sa première parole, dans la chaire du séminaire, n'a été qu'un chaleureux hommage de vénération, offert à la grande, à la majestueuse figure de Mgr Fournier, son compatriote. Ses conférences sur les preuves de la religion montrent quels étaient son zèle et son savoir. Simple pour lui-. même, il aimait à donner aux pauvres. On lui doit l'agrandissement et le perfectionnement du séminaire que M. Rollet avait commencé d'établir dans l'ancien couvent des Récollets. Il fit ériger dans la cathédrale un autel consacré au culte de saint Vincent de Paul, patron du clergé, et ordonna en môme temps que ce culte serait établi dans les principales villes du diocèse. Outre la création d'une école secondaire ecclésiastique à Montpellier et à Saint-Pons, l'une et l'autre autorisées par ordonnance du 5 novembre 1828, cet excellent prélat fonda à Montpellier en 1825, avec ses seules ressources, l'Œuvre de la Madeleine ou des Filles Repenties, institution qui a reçu une existence légale par ordonnance royale du 28 mars 1830, concourut, par des sommes plus ou moins fortes, à tous les autres établissements religieux ou charitables de son diocèse, et donna 30,000 francs pour former à Gex, sa ville natale, une maison des Dames de la Visitation.

Depuis quelques mois, sa santé avait subi une altération visible, et il était menacé d'une hydropisie de poitrine. Rien toutefois ne faisait prévoir une catastrophe prochaine, et malgré son âge avancé, on pouvait se flatter de le voir encore longtemps à la tête du diocèse, lorsque, le dimanche, 28 décembre 1834, il éprouva subitement un évanouissement qui fut suivi des plus cruelles souffrances. Il mourut le lendemain à deux heures du soir d'un épanchement intérieur dans la poitrine, et à l'âge de 74 ans. Ses funérailles eurent lieu le 31 du même mois, et ses restes mortels furent alors déposés dans un caveau de la chapelle de Saint-Roch, dans la cathédrale. Le 14 janvier 1835, à dix heures du soir, ils en furent retirés pour être transportés dans un caveau situé sous le grand autel et destiné à la sépulture des évêques de Montpellier. Le lundi 19 du même mois, un service funèbre fut célébré dans la cathédrale, et l'Oraison funèbre du vénérable prélat fut prononcée par M. l'abbé Ginoulhiac, alors professeur du grand séminaire, actuellement évêque de Grenoble.

La perte du digne et vertueux évêque de Montpellier fut vivement sentie, non-seulement par le clergé et par les fidèles dont il était depuis 28 ans le guide et l'exemple, mais par le grand nombre de ceux qui furent à môme d'apprécier ses nobles qualités et son caractère élevé. Elle fut irréparable pour le département que son influence puissante et toujours active préserva, à de tristes époques, des déchirements qu'eut pu occasionner le fanatisme religieux. Désireux de l'ordre et de la paix, il n'avait cessé de prêcher à son clergé l'obéissance aux lois et l'abnégation des choses de ce monde. Les campagnes d'abord troublées par un zèle imprudent, lui durent en partie le calme, et les villes, l'union et le bon accord qui régnèrent entre les diverses communions. Bon, simple, affectueux, M. Fournier n'eut pas d'ennemis. Sa conversation était enjouée et pleine d'effusion, sa candeur parfaite, son caractère sûr, sa piété solide et fervente. Par son testament, il légua à son grand séminaire ses rentes sur l'État et sa maison de campagne, dite Château-d'Eau, à la charge d'employer les revenus à soutenir de pauvres ecclésiastiques, et de laisser à ses successeurs la jouissance de l'habitation et du parc.

Il ne nous est pas possible d'analyser, même d'une manière succincte, tous les Mandements publiés par M. Fournier, mais nous ne saurions passer sous silence celui qu'il adressa au diocèse pour le Carême de 1830. Il avait pris pour sujet de cette Instruction pastorale, les causes principales des malheurs des peuples et des révolutions des empires. Le prélat s'y élève aux plus graves considérations, toutes fondées sur les monuments de l'histoire et de la religion, et un peu plus dignes d'être médités que ces théories neuves et brillantes sur lesquelles on prétend aujourd'hui asseoir la destinée des empires, et qui ne sont pas moins contraires à l'expérience du passé qu'à la sécurité de l'avenir.

M. Fournier avait été créé baron de l'Empire par lettres patentes du 18 mars 1809, enregistrées au sénat le 14 avril suivant et publiées à l'audience de la Cour impériale de Montpellier le 9 mai de la même année. Nommé chevalier de la Légion d'honneur le 15 août 1810, il fut promu officier de cet ordre le 14 octobre 1814 par M. le comte d'Artois, à son passage à Montpellier, et était en outre Commandeur de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Il portait pour armoiries : d'azur, au croissant d'argent montant d'où sortaient cinq épis de blé du même,, au chef cousu de gueules, chargé à dextre de trois étoiles en fasce d'argent et à senestre du quartier de baron-évêque, c'est-à-dire, de gueules, à la croix alaisée d'or.