Cantique à Notre-Dame-des-Tables

De Marquerose
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Timbre de Notre-Dame-des-Tables

Cantique à Notre-Dame-des-Tables

Chantons une hymne d’allégresse,
Célébrons la Reine des Cieux !
Que tous les cœurs avec ivresse
Exaltent son nom glorieux !
A ses bienfaits si nos louanges
Devaient mesurer les accents,
Les célestes accords des Anges
Seraient trop faibles pour nos chants.

Reine des Cieux, Vierge immortelle,
Sois donc bénie en ce beau jour,
En cette Fête solennelle,
Gage éternel de don amour,
Où nous célébrons les Prodiges
Par ta main puissante accomplis,
Et dont les précieux vestiges
Charment partout nos yeux ravis.

A ta voix la foudre s’arrête,
L’orage calme ses fureurs ;
A ta voix s’enfuit la tempête
Et l’espoir renaît dans les cœurs !
Plus loin, c’est une épidémie,
Portant le deuil et le trépas,
Qui, par ta puissance asservie,
Tout-à-coup arrête ses pas !

Enfin tout fléau qui se lève,
Messager du courroux du Ciel,
Sur nos murs brisera son glaive
En apercevant ton Autel
Contre l’Enfer et sa colère,
A jamais ainsi Montpellier
Aura ton amour pour barrière
Et ton culte pour bouclier !

Aussi jadis un Sanctuaire,
De la Foi monument pieux,
Etalait ses splendeurs de pierre
Aux yeux charmés de nos aïeux :
C’est sous ces voûtes vénérables
Que leur naïve piété
Priait Notre-Dame-des-Tables,
Reine auguste de la Cité.

Chevalier, dont la Terre-Sainte
A vu flotter le pavillon
Approchez-vous de cette enceinte,
Illustre Sire d’Aragon !
Avec lui, sous son oriflamme,
Nobles Consuls de la Cité,
Venez vénérer Notre-Dame
Et son antique Majesté.

Vous dont les mains ingénieuses,
Tissent le lin, la soie et l’or,
De vos offrandes généreuses
Portez le précieux trésor !
Vous aussi, Pieuse Ambassade
Des Beaux-Arts, des Nobles Labeurs
Venez tous à la Véjolade !
Pour tous la Vierge a des faveurs.

Ainsi la gloire et le génie,
De tes autels humbles vassaux,
Venaient tous les ans, ô Marie,
T’offrir les augustes travaux !
Et ton Temple, ô divine Mère,
Voyait, sous ton sceptre puissant,
Toutes les splendeurs de la terre
Incliner leur pompeux néant !

Mais quand la horde sacrilège
Des modernes Réformateurs
Fit surgir un hideux cortège
De barbares dévastateurs,
Alors cette Nef vénérée,
Sous leurs coups désastreux croula ;
Et notre France consternée
Crut revoir les jours d’Attila.

Spoliateurs des Sanctuaires,
Ô stupides démolisseurs,
Acharnez-vous contre des pierres,
Des Arts profanez les grandeurs !
La Vierge est là qui vous contemple,
Immobile, sur son Autel !
Vous pouvez détruire son temple ;
Pour son Culte, il est immortel !

Semblable à la sainte Victime,
Nous le verrons ressusciter
Plus radieux et plus sublime
Des coups qu’on osa lui porter !
De la Sainte Eglise Romaine
Partageant les destins sacrés,
Il bravera toujours la haine
De ses ennemis conjurés.

Mais avec lui le Sanctuaire
Qui vit nos Pères prosternés
Sortira-t-il de la poussière
Où ses débris sont dispersés ?
Oui, déjà sur cette ruine,
Comme sur un riche trésor,
Je vois l’espérance divine
Epanouir ses ailes d’or !

Commentaires sur le Cantique à Notre-Dame-des-Tables

1. L’effigie de la Vierge, adoptée pour le timbre paroissial de Notre-Dame, est prise des Archives de la mairie de Montpellier, à la date de 1281. Assise comme sur un trône, elle rappelle naturellement l’idée et le nom de Majesté antique, qu’on se plaisait alors à donner à la Patronne de la Cité. Les deux lettres symboliques placées à ses côtés, alpha et oméga, sont évidemment à l’adresse de son divin Fils, porté sur son bras, et bénissant la ville et ses habitants. La vieille légende qui l’entoure est l’expression naïve de la confiance de nos Pères pour cette Vierge Mère.

2. L’institution de la Fête des Miracles de Notre-Dame-des-tables, qui continue à se célébrer tous les ans avec la solennité qu’on lui connaît, remonte à l’année 1189. On lit, à ce sujet, sans le Petit Thamamus de Montpellier : « L’an 1189, en aoust, furent faits les Miracles de Nostre-Dame-de-Tables. » L’histoire de la cille et l’office de cette fête en constatent assez la multitude, la continuité, la variété. On se rappelle avec bonheur ce livre dont parle Gariel, Livre de pergamin, couvert de posses, en cinq boutons de leton. Dins loqual livre sont escrits los Miracles de Nostra Dona de Taulas.

3. Notre-Dame de Montpellier n’a cessé d’être invoquée dans toutes les épidémies et les calamités publiques, ainsi que son Office en fait foi. On conserve, d’ailleurs, d’anciennes formules de prières qui lui étaient encore adressées, à ce sujet, au XIVe siècle. C’est en action de grâces de la délivrance de la peste que, trois fois pendans ce même siècle, fut publiquement voté, à Montpellier, ce gigantesque cierge, de 1900 cannes de longueur sur un doigt de grosseur, mesurant la longueur des remparts de la ville, pour brûler dans l’église de Notre-Dame-des-Tables. C’était aux années 1349, 1347, 1384.

4. Les magnificences de l’ancienne église de Notre-Dame-des-Tables, avant les guerres de religion, nous sont surtout connues par l’historien Gariel, qui en parle avec ravissement dans l’histoire particulière qu’il en a faite. Il se plaît à y revenir en d’autres ouvrages, et l’on peut lire l’intéressante description qu’il en a laissée dans son Series praesulum, aux pages 159-162.

5. Cet illustre roi d’Aragon est Jacques Ier, dont les exploits guerriers, aux Croisades contre les maures, furent des plus brillants, et dont le pavillon flotta effectivement en face de la Terre-Sainte, devant Saint-Jean-d’Acre, malgré la dispersion de sa flotte par la tempête. Natif de Montpellier et fruit miraculeux de prières universelles adressées dans la ville à Notre-Dame-des-Tables, pour cette naissance désirée, ce preux chevalier, plus tard, en 1274, en obtint pour lui, à son tour, une guérison reconnue miraculeuse. Pour en mieux constater le fait et pour en exprimer sa reconnaissance, il fut en personne dans l’église de Notre-Dame rendre son ex-voto. Celui-ci consistait en un beau tableau représentant la Vierge elle-même, telle qu’elle lui avait apparu pour opérer sa guérison. (Voir Gariel, De l’église et des miracles de Notre-Dame-des-Tables ; et d’Aigrefeuille, tome 1, p 89.)

6. Il est à croire que l’oriflamme du roi d’Aragon, à Montpellier, se confondait avec la bannière de nos consuls et portait les armoiries de la ville et l’effigie de la Vierge Mère.

7. Rien de plus intéressant que les détails, prescrits par l’ancien Cérémonial consulaire, pour la célébration de la fête des Miracles de Notre-Dame-des-Tables. Voici ce que portaient, d’après d’Aigrefeuille et Gariel, les articles 50 et 51 : « Le dernier jour d’aoust est la feste des Miracles de Nostre Dame de Tables de Montpellier, auquel jour les Seigneurs Consuls vont à la procession avec leurs luminaires, leur Poile et leurs Ministriers, tout de même qu’aux plus solennelles festes. Les Ouvriers y vont aussi avec leur pavillon, sous lequel est portée l’image de la glorieuse Vierge Marie. Le lendemain, qui est le premier de septembre, jour et fête de Monsieur Saint Gilles, par révérence de Notre Seigneur Jésus-Christ et de sa bonne et vraie Mère, de toute la cour de Paradis, et spécialement en l’honneur et mémoire des Miracles de Notre-Dame de tables, doivent les Seigneurs Consuls, accompagnés des Ouvriers, des Consuls de mer, des autres officiers et de tout homme qui a robe du Consulat, veiolar. Et pout cette dévotion devant tout sont les ministriers touchants, et avec toute la luminaire partans du consulat, ils vont à l’entrée de l’église de Nostre Dame de Tables, et entrent dedans. A l’entrée, qui se fait du côté du Consulat, le Premier consul distribue les chandelles, et se fait une solennelle procession. » Dans le même cérémonial, continue Gariel, est l’ordonnance qui règle chaque année à Montpellier l’honneur qu’on doit rendre à Dieu et à la glorieuse Vierge Marie, Mère de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour les grands et innombrables Miracles que journellement ladite Dame a faits et fait dans son église de Tables.»
« Donc le trentième jour d’aoust, qui est la vigile de la feste des Miracles de Nostre Dame de Tables à Montpellier, les torches allumées doivent veiolar, comme est de coutume, les Pélissiers (pelletiers) ;
Le dernier jour du mois d’aoust, auquel se célèbre la Feste, les Pébriers (épiciers) ;
Le premier jour du mois de septembre est pour les Consuls, les Ouvriers et les Consuls de mer ;
Le second jour du mois de septembre doivent veiolar les Canabassiers ;
Le troisième, les Cédiers (travailleurs sur soie) ;
Le quatrième, les Poissonniers ;
Le cinquième, les Mazeliers de mouton, de bœuf et de porc (bouchers) ;
Le sixième, les Merciers, ailleurs, métiers de l’Aiguillerie ;
Le septième, qui est la vigile de la joyeuse fête de la Nativité de Notre-Dame, les Drapiers de la Draperie-Rouge de Saint-Firmin ;
Et le huitième, qui est la Feste de la Nativité, les Cambiadours ou changeurs. »

8. L’antique mot Véjolade est tiré de veiolar, ou véjolar, employé dans l’ordonnance des Consuls ci-dessus. Il exprime parfaitement la série d’exercices religieux pratiqués publiquement pour la fête de Notre-Dame-des-Tables. C’est, selon le style de l’Eglise, célébrer les veilles ou vigiles.
D’Aigrefeuille le rapporte avec cette orthographe page 255 de son Histoire ecclésiastique de Montpellier. Selon lui, l’ordonnance précitée était appelée Ordonnance des Vejolades.

9. Commencée en 1794 par les ordres du représentant Boisset, et reprise plusieurs fois jusqu’en 1806, la démolition de l’église de Notre-Dame fut consommée cette fois. La place fut cédée à l’édifice qu’on y voit encore sous le nom de Marché aux Colonnes. (Voir Mémoires de M. Thomas, pages 333-343.)

10. Dieu seul a les secrets de l’avenir. Pourquoi ne serait-il pas dans les destinées de l’ancienne Notre-Dame de sortir de ses ruines ? Ce qui s’est fait déjà d’autres fois ne peut-il pas se faire encore ? C’est l’invincible espoir de la plupart des habitants d’une ville dans tous les temps dévouée à la Vierge Mère de Dieu, et qui, l’histoire à la main, attachent à ce sol consacré et à la réédification de cet antique temple, et les plus belles gloires du passé, et les plus douces espérances de l’avenir.