Communauté

De Marquerose
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En France sous l'Ancien Régime, le mot communauté désigne toutes les personnes morales de droit public dont les statuts résultent généralement d'une Ordonnance royale ou en particulier de lettres patentes, aussi bien dans le domaine de l'organisation religieuse (communautés religieuses)8 que dans celui des pouvoirs administratifs (par exemple la Communauté d'un régiment9, Communauté de la Noblesse), locaux (les Communautés d'habitants, les Communautés des villes, les communautés provinciales), professionnels (les communautés de métier), éducatifs (les communautés des collèges) ou privés (communauté matrimoniale et lignagière, communautés de voisinage). Plusieurs arrêts des parlements nous indiquent que tous les pauvres de chaque ville ou paroisse étaient légalement constitués en une communauté capable de recevoir tous les dons ou legs faits "aux pauvres" et qui était distincte de la communauté des habitants.

Bien que nos sociétés aient presque partout remplacé ces communautés par des formes sociétales d'association, le terme de communauté (ou son équivalent corps) conserve toujours un sens juridique, administratif et politique précis, par exemple pour les copropriétés, les communes, les professions organisées en ordre, les corps de la Fonction publique, les familles, les congrégations religieuses, et bien sûr les diverses doctrines communistes.

Sous l’Ancien Régime, la cellule de base de l’organisation administrative est constituée par la communauté d’habitants, ancêtre direct des communes actuelles. Avec l’affaiblissement progressif des tutelles seigneuriales, émergent au XIIe siècle les communii, associations scellées par un serment de fidélité collectif visant à obtenir l’octroi de chartes de privilèges. Dans le sud de la France, ces « communes » prennent la forme d’un consulat et apparaissent dès la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle pour l’Albigeois.

Les communautés d’habitants ont à leur tête des consuls qui ont des pouvoirs plus ou moins étendus, selon le degré d’affranchissement de la communauté. Le nombre de consuls varie de 1 à 6 ; de même, leur mode de désignation est très variable d’une communauté à l’autre. La communauté, représentée par ses consuls, détient des attributions administratives, militaires, économiques, de police. Elle est surtout une entité fiscale, solidaire dans le paiement de l’impôt et chargée de son recouvrement. Son compoix, équivalent à la fois d’une matrice cadastrale et d’un rôle de l’assiette, lui permet d’asseoir l’impôt foncier sur les terres roturières. Une véritable administration consulaire se met en place, s’appuyant à la fois sur une pratique de l’écrit héritée du droit romain et sur des professionnels de l’écriture. Ces consulats vont produire de plus en plus d’archives au fur et à mesure de la complexification de leur administration. Cependant, les consulats, puissants à la fin du Moyen Âge, voient progressivement leur pouvoir réduit par la royauté : à la fin de l’Ancien Régime, les consulats sont peu ou prou sous la coupe du pouvoir central.

Le nombre des communautés des trois diocèses d’Albi, Castres et Lavaur a pu varier au cours de l’Ancien Régime. A la fin de l’Ancien Régime, on en décompte 368 : 198 dans le diocèse d’Albi, 81 dans celui de Castres et 89 dans celui de Lavaur. Les limites territoriales des communautés étaient précises quoique souvent complexes. L’une des caractéristiques de ces territoires des communautés tient au fait qu’il ne concorde pas avec la carte des paroisses : leur nombre est bien plus grand que celui des communautés. A l’inverse, une paroisse peut s’étendre sur plusieurs communautés. Le record du nombre de paroisses revient à Rabastens, qui en compte 26 tandis que 36 communautés n’ont pas de paroisse propre et relèvent de la paroisse d’une autre communauté.

Pour plus de détails sur les communautés du Tarn, on pourra utilement se reporter à l’introduction du dictionnaire des communes du Tarn : Communes du Tarn : dictionnaire de géographie administrative, paroisses, étymologie, blasons, bibliographie, sous la direction de Jean Le Pottier, Albi, Archives et Patrimoine, 1990, p. XIV-XVII.

http://edt-archivescommunales.tarn.fr/index.php?id=2990


Chapitre XI. Les cadres de la société rurale Annie Antoine et Francis Brumont p. 267-286 INDEX TEXTE NOTES AUTEURS ENTRÉES D'INDEX Géographique : France TEXTE INTÉGRAL 1 Jacquart Jean, La Crise rurale en Île-de-France. 1560-1670, Paris, Armand Colin, 1974, chapitre II (...) 1Parler de cadres de la société rurale, c’est, selon une longue tradition historiographique que nous adopterons aussi1, parler des institutions qui régissent la vie quotidienne au village : la communauté, la paroisse, la seigneurie, trilogie partout présente, mais dont les modalités d’action sur les familles rurales sont très variables d’un lieu à l’autre. Quand on dit que la société rurale est encadrée, cela ne signifie pas que les ruraux soient considérés comme des mineurs et qu’ils soient sous la coupe de pouvoirs extérieurs au monde des campagnes ; en effet, s’il est certain que le village et la communauté ne bénéficient pas d’une large indépendance, leur capacité à s’autogouverner n’est pas négligeable. Même s’ils sont contrôlés par les instances supérieures, ils gèrent la plupart des questions qui les concernent directement. Il faut cependant apporter deux correctifs à ces généralités : quand nous disons le village ou la communauté, il faut comprendre par là qu’un étroit secteur de la population – une oligarchie, des élites – exerce la réalité du pouvoir, les autres habitants se désintéressant (ou étant tenus à l’écart) des affaires.

2Par ailleurs, dans une zone aussi vaste que celle qui nous est proposée, on ne sera pas étonné de constater que l’homogénéité ne règne pas, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, mais il est possible de délimiter d’ores et déjà deux grands ensembles : une première zone où la paroisse et la communauté sont très étroitement liées, soit en gros la France de droit coutumier et l’Angleterre ; une deuxième zone où ces deux institutions fonctionnent séparément et n’ont que peu de rapports institutionnels, l’Espagne et la France méridionale, majoritairement de droit écrit. Ces distinctions demanderaient évidemment à être affinées, notamment en prenant en compte d’autres facteurs, comme la force de la seigneurie. Malgré tout, ces trois institutions ont cependant plusieurs points communs, en particulier de s’intéresser au même groupe d’hommes, à ceux qui vivent dans un lieu donné – même si, dans le cas de la seigneurie en particulier, il n’y a pas toujours coïncidence – mais aussi d’exercer une partie des devoirs ou des fonctions de l’État monarchique, soit qu’elles aient hérité d’une partie de son pouvoir (c’est le cas de la seigneurie), soit qu’elles assument certaines tâches à sa place.

3Même s’il est difficile de séparer paroisse, seigneurie et communauté nous le ferons pour des raisons de commodité et, sans qu’il soit question d’établir une préséance entre elles, nous commencerons par cette dernière.

La communauté d’habitants 2 Jacquart Jean, « Immobilisme et catastrophes (1500-1660) », Duby Georges et Wallon Armand (dir.), (...) 4Le terme de communauté regroupe sous l’Ancien Régime plusieurs réalités : c’est d’une part le village lui-même, l’ensemble de ses habitants, ce que nous appelons la commune, et de l’autre, le groupe qui la gouverne et la représente, ce que nous appelons la municipalité, qui est un corps doté d’une personnalité juridique, de droits et de privilèges qu’elle ne se fait pas faute de défendre devant les tribunaux. On peut distinguer trois aspects essentiels dans les attributions de cette institution2 : gérer l’exploitation du terroir et des biens communaux, seule ou en accord avec les agents du seigneur, s’occuper de nombreuses tâches d’administration locale comme l’assistance aux pauvres, le maintien de l’ordre public, l’entretien de la voirie, etc. ; enfin, la communauté est une cellule fiscale qui doit répartir et percevoir les impôts royaux, palliant ainsi les carences en personnel de l’État monarchique. Dans certaines régions, notamment dans une grosse moitié nord de la France, la communauté et la paroisse ont des institutions communes. Les marguilliers qui géraient les biens de l’église paroissiale, ce que l’on appelait la fabrique, étaient nommés par l’assemblée des habitants.

Un groupe restreint 3 Baehrel René, Une Croissance : la Basse-Provence rurale (fin du xvie siècle-1789). Essai d’histoir (...) 5C’est un petit groupe de personnes, ne dépassant presque jamais la dizaine, qui gouverne bourgs et villages3. Là où la communauté est puissante, les fonctions sont bien différenciées : au sommet de la hiérarchie, ceux qui détiennent une parcelle du pouvoir judiciaire ; ce sont les alcaldes en Castille, au nombre de deux, ou le premier consul dans la France méridionale, toujours un notable, car il représente aussi la communauté devant les instances supérieures ou en justice. Ensuite, ceux qui se chargent de la gestion de la communauté : les regidores en Castille, de trois à six, rarement plus, les autres consuls dans le Midi (il y a deux consuls dans les petits villages, quatre ou six dans les bourgs ruraux). À côté de ces élus, peuvent se trouver des conseillers (en Provence) ou un groupe un peu plus important, composé souvent d’anciens officiers municipaux que l’on appelle la jurade en Gascogne ou le Conseil Général en Provence.

4 Follain Antoine, « Comptabilités paroissiales et communales. Fiscalité locale du xiiie au xviiie s (...) 6Le mandat des élus qui gouvernaient la communauté était généralement annuel, mais les modes d’élection étaient assez variables. L’assemblée générale des habitants avait son mot à dire dans la France coutumière et en Angleterre puisque c’était elle qui élisait ses représentants ainsi que les marguilliers4. Dans la France méridionale et en Castille, le pouvoir qui aurait dû être dévolu à l’ensemble des chefs de famille a été confisqué au profit d’une minorité : en Castille, ce sont les élus sortants qui désignent leur successeur, dans la France du sud, ce sont les membres de la jurade ou le conseil général qui votent, parfois sur des noms fournis par les magistrats anciens. En tous les cas, les habitants ne sont réunis que très exceptionnellement en assemblée, soit qu’ils entrent de force dans la salle de réunion, soit qu’ils y aient été convoqués. Et même dans ces cas, le nombre des participants est généralement, sauf en cas de conflit ouvert, très restreint : quelques dizaines de chefs de famille s’intéressent vraiment à la vie de la communauté, et ce sont les plus aisés, ceux qui ont des intérêts à défendre et sont donc les plus intéressés aux décisions, une conception que l’Ancien Régime trouve tout à fait naturelle. Plutôt que d’élections, il faudrait dans ces régions méridionales parler de cooptation, l’intervention des « élus » sortants étant bien souvent prépondérante. Cela permet à quelques familles de monopoliser le pouvoir municipal et parfois d’en abuser.

7Les agents du seigneur ont souvent leur mot à dire lors de la nomination des représentants de la communauté ; en Castille et dans la France méridionale, dans les villages et bourgs qui n’appartiennent pas au domaine royal, bien souvent la communauté propose deux noms par poste parmi lesquels ils choisissent. Dans beaucoup d’endroits la négligence des seigneurs faisait que cette prérogative était tombée en désuétude ou n’était exercée que sporadiquement. Il en va de même dans les communautés où coexistent plusieurs seigneuries.

Des fonctions diverses 8C’est dans le cadre de la communauté et/ou de la seigneurie qu’étaient élaborés les règlements qui régissaient la vie du village : les statuts en Provence et en Aragon, et les ordonnances en Castille et en Catalogne (appelées parfois « criées » dans le cadre seigneurial) sont du ressort de la communauté. Élaborés de temps à autre, quand le besoin s’en faisait sentir, ils réglementent toute la vie du village et doivent être conformes aux lois du royaume. Ils légifèrent aussi bien sur le gouvernement de la communauté que sur les pratiques agraires et pastorales : gestion des champs, de la pâture, de l’utilisation de l’eau, etc. Les fields orders (règlement de police des champs) anglais, pris dans le cadre de l’assemblée des tenanciers, font de même ; ils doivent se conformer à la coutume de la seigneurie, celle-ci réglant de façon très minutieuse de nombreux aspects de la vie quotidienne.

9La communauté était aussi une collecte, c’est-à-dire une circonscription fiscale. Les modalités de perception des impôts étaient très variables d’un royaume à l’autre et même à l’intérieur des royaumes (taille réelle/personnelle), mais pratiquement partout, c’était les autorités municipales qui se chargeaient de l’assiette, c’est-à-dire de la répartition entre les habitants, et de la perception de l’impôt royal, le montant global de l’impôt afférant à chaque communauté étant fixé par une autorité supérieure au village, comme en France les élus. En Espagne, les villages faisaient partie de ce que l’on appelait des « communautés de ville et terre » et c’était la ville qui répartissait la somme globale entre ses villages, non sans récriminations de la part de ceux-ci. La répartition entre les assujettis pouvait se faire en suivant un cadastre ou compoix, comme dans les pays de taille réelle en France, ou suivant une estimation cavalière de la richesse par les asséeurs (ceux qui asseyaient l’impôt sur leurs voisins). Mais les injustices étaient sans doute moins nombreuses qu’on pourrait le croire car, d’une part, les collecteurs étaient responsables sur leurs deniers personnels et avaient tout intérêt à ce que l’impôt rentre, et que, d’autre part, la fonction d’asséeur était annuelle et que l’on avait pas trop intérêt à surcharger un voisin qui vous estimerait l’année prochaine ou l’année suivante.

5 Neeson Jeanette M., Commoners : common right, enclosure and social change in England, (1700-1820), (...) 10La communauté avait beaucoup d’autres fonctions ; une des plus importantes était l’organisation du terroir et la gestion des biens communaux. La valeur de ceux-ci était très variable selon les régions : dans les zones les plus peuplées, ils étaient insignifiants et de peu de valeur. Ailleurs, comme dans les pays de bocage, les zones peu peuplées, l’Angleterre en général, ils pouvaient couvrir de grandes superficies et apporter des revenus substantiels à la communauté (location de pâturages) ou aux habitants qui y disposaient de divers droits5. Ils ne se composaient pas uniquement de terres plus ou moins incultes, mais aussi de bâtiments (halles et maison commune – la mairie – pour les gros villages et les bourgs) et, dans les communautés de la France méridionale et en Espagne, de ce que l’on appelle les monopoles municipaux, c’est-à-dire la taverne, la boucherie, l’épicerie etc. dont l’exploitation était affermée ou dans les tout petits villages, où la taverne est toujours présente, confiés bénévolement à qui voulait s’en charger. Les communautés les plus importantes (bourgs, gros villages) pouvaient aussi bénéficier de droits et privilèges, sur les marchés, sur les ventes de vin qui servaient à solder les dépenses municipales et, quand c’était possible, à payer une partie des impôts afférant à la communauté. L’assistance aux pauvres était une autre obligation, souvent abandonnée à l’Église, à des fondations pieuses ou à la paroisse comme nous le verrons avec le système instauré en Angleterre avec les Poor laws.

Les évolutions 11Au xviie siècle, l’état permanent de guerre entre la maison d’Autriche et la France touche de plein fouet les communautés. Si certaines sont frappées directement par les opérations belliqueuses et beaucoup d’autres, en France comme en Catalogne ou en Angleterre, par le logement et les passages des troupes, toutes le sont indirectement par la hausse vertigineuse des impôts royaux qui commence dans les années 1630. Il en va de même en Angleterre, quelques années plus tard, lorsque la guerre civile exige de grandes sommes, les taxes (hearth tax, par exemple, entre 1662 et 1689) portant essentiellement sur les revenus des propriétaires fonciers, même si certains en font payer une partie à leurs tenanciers ; s’ajoutant aux dégâts causés par la guerre elle-même, cette hausse des impôts favorise la multiplication du nombre des pauvres à la charge des communautés.

12C’est au cours de ce siècle qu’apparaissent aussi dans les villages, ou au moins dans les bourgs, les premières tentatives de privatisation des offices municipaux. Dans le royaume de Castille, où la vénalité des offices ne touche pas l’administration, aux mains de fonctionnaires, les letrados, celle-ci avait été anciennement instituée pour les offices municipaux urbains, notamment ceux des regidores. Poussée par la nécessité, la monarchie commence à vendre de tels offices au niveau des bourgs dès la fin du xvie siècle, ce qui ne manqua pas de provoquer une forte opposition et un certain nombre de révoltes, menées bien souvent par ceux des notables qui n’avaient pu bénéficier de ces ventes. En même temps, se produit un autre mouvement, l’achat de titres de ville par des villages ou des bourgs qui dépendaient d’une autre cité, dans les « communautés de ville et terre ». Ces nouvelles villes se débarrassaient ainsi de la tutelle (juridique et fiscale essentiellement) de la cité voisine et leurs notables (car c’était évidemment eux qui poussaient à cette émancipation) avaient les mains beaucoup plus libres pour gouverner à leur guise, surtout s’ils avaient acquis en même temps un office perpétuel. En France, ce n’est qu’à la toute fin du xviie siècle, à partir de 1693, que Louis XIV se décida à vendre des offices municipaux, en l’occurrence ceux de maire perpétuel ; face à des consuls ou autres échevins dont le mandat était annuel, ces nouveaux maires ne tardèrent pas à chercher à s’imposer, en essayant de faire supprimer le poste de premier consul, par exemple. La monarchie poussa bien les communautés à racheter ces offices, mais la rude période que traverse le royaume dans les vingt dernières années du règne, ne le leur permit pas, pas avant la Régence tout au moins.

13Tous ces changements s’inscrivent dans une évolution sociale claire et générale : la polarisation de la société rurale marquée par l’enrichissement d’un petit nombre de paysans aisés, marchands ruraux, petits officiers. Ils forment une nouvelle bourgeoisie, qui entend bien consolider sur le plan institutionnel la situation prééminente que lui confère son pouvoir économique. La solidarité de la communauté villageoise est ainsi mise à mal par ces nouveaux riches, souvent agents seigneuriaux et créanciers des communautés qu’ils gouvernent en s’appropriant les bénéfices tirés de la gestion municipale, de la levée des impôts, par exemple, ou en modifiant les règles d’usage des communaux.

La seigneurie 6 Saint-Jacob Pierre de, Les Paysans de la Bourgogne du nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, P (...) 14Plus ou moins présente selon les régions, la seigneurie impose à tous sa présence ; selon l’expression de Pierre de Saint-Jacob, « elle enveloppe la vie paysanne6 ».

Les droits sur la terre 15Dans les trois pays, la propriété des terres est définie dans le cadre de la seigneurie. La seigneurie ou fief est un bien concédé à foi et hommage. Le concédant retient la propriété (seigneurie directe) et transmet le droit de se servir de l’immeuble et de jouir de ses fruits (seigneurie utile). Le fief ou seigneurie se compose de trois éléments : le domaine, la mouvance, les droits.

16Le domaine constitue la réserve du seigneur, sa propriété utile. Il s’agit d’une propriété aussi entière que cela se peut sous l’Ancien Régime dans une situation de propriété partagée, alors que la terre n’est jamais totalement possédée, mais tenue d’un seigneur suzerain, ce qui entraîne certaines contraintes (aveu, obéissances, paiement de droits divers). Le domaine constitue la partie de la seigneurie que son propriétaire peut exploiter directement, donner à bail, démembrer et vendre.

7 Antoine Annie, « La seigneurie, la terre et les paysans, xviie-xviiie siècles », Bulletin de la So (...) 8 Amalric Jean-Pierre, « La part des seigneurs dans la province de Salamanque au xviiie siècle », Co (...) 17La mouvance est la partie sur laquelle le seigneur exerce la propriété éminente, mais dont il n’a pas la jouissance, ces terres ayant depuis longtemps été concédées à des tenanciers qui s’en considèrent comme les propriétaires. Les mouvances peuvent être d’appropriation privée ou collective, possédées par des nobles, des communautés religieuses ou des roturiers. Les habitants des mouvances n’ont pas la pleine propriété de leur terre, ils n’en ont qu’une propriété incomplète, partagée avec leur seigneur. On dit qu’ils tiennent la terre et ils ont, en conséquence, toute une série de devoirs – les droits seigneuriaux – envers le seigneur. Ces droits sont extrêmement divers, à la fois dans chacun des pays considérés, mais aussi au niveau micro-régional. Cette diversité s’observe dans leur dénomination, dans leur définition, mais aussi dans leur poids et dans le niveau de contrainte qu’ils font peser sur les tenanciers. Ces droits rappellent la fiction (et parfois la réalité) de la cession originelle de la tenure par le seigneur : droits recognitifs de cette propriété (cens et champarts, ces derniers généralisés dans la Couronne d’Aragon), droits sur les mutations (lods et ventes), droit de retrait féodal (ou prélation) qui est un droit de préemption permettant au seigneur de se porter acquéreur de toute terre vendue par un tenancier, droits sur les communaux et autres terres d’utilisation collective en de nombreux endroits7. Dans le royaume de Castille, ces droits sont souvent tombés en désuétude ou n’ont jamais existé8, en Catalogne par contre, ils sont très importants.

18Pour le seigneur français, il est quasiment impossible de modifier le statut de la terre, donc, par conséquent, celui de ses tenanciers. Ceux-ci restent des censitaires pendant tout l’Ancien Régime. Les droits seigneuriaux ne disparaissent pas (même si des évolutions existent et si certains tombent en désuétude) mais, en contre-partie, les tenanciers sont considérés, de fait, comme les propriétaires des mouvances puisque leurs contrats sont emphytéotiques (en pratique, ils sont perpétuels). La Révolution sanctionnera ceci : quand la féodalité sera abolie, bourgeois et paysans deviendront propriétaires des terres qu’ils tenaient en censive sous l’Ancien Régime. En Angleterre, on a une situation un peu différente qui, à l’inverse de ce qui se passe en France, tourne à l’avantage des seigneurs dès l’Ancien Régime.

9 Brumont Francis, « Propriété et exploitation de la terre en Grande-Bretagne », Fréchet Hélène (dir (...) 19S’il est pratiquement impossible au seigneur français ou espagnol de réunir à sa réserve une terre appartenant à un de ses tenanciers, cela est beaucoup plus aisé pour le seigneur anglais, notamment en ce qui concerne les tenures dont la jouissance avait une durée déterminée9. Les lords anglais peuvent en effet renégocier les contrats qui les lient à leurs tenanciers : ils vont ainsi reprendre progressivement la main sur leurs mouvances en les louant avec des contrats à temps. Si l’on s’est plu à souligner le fait que les copyholders tenaient leurs terres at the will of the lord and according to the custom of manor et à des conditions qui pouvaient être très contraignantes, inversement il faut bien imaginer que l’évolution qui va pousser les seigneurs anglais à transformer des copyholds de durée plus ou moins illimitée en baux à temps (les leaseholds) leur donne finalement la pleine propriété de leur mouvance et transforme leurs tenanciers en locataires (voit chapitre sur les statuts sociaux de la paysannerie anglaise).

Le poids économique de la seigneurie 10 Bois Paul, Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depui (...) 11 Leymarie Michel, « Les redevances foncières seigneuriales en Haute-Auvergne », Annales historiques (...) 12 Dalby Jonathan R., Les Paysans cantaliens et la Révolution française. (1789-1794), trad. fr. par C (...) 13 Clère Jean-Jacques, Les Paysans de la Haute-Marne et la Révolution française. Recherches sur les s (...) 14 Aubin Gérard, La Seigneurie en Bordelais au xviiie siècle d’après la pratique notariale, 1715-1789(...) 15 Dupâquier Jacques, La Propriété et l’Exploitation foncière à la fin de l’Ancien Régime dans le Gât (...) 20La seigneurie a un poids économique très variable pour les habitants du monde rural. En France, de nombreux essais ont été faits pour calculer le poids des droits seigneuriaux, mais la réalité est tellement complexe et tellement difficile à saisir qu’il serait hasardeux de vouloir donner plus que de grandes tendances. Mesurer le poids économique de la seigneurie, faire des cartes des hautes et basses pressions seigneuriales est le rêve des historiens ruralistes depuis une génération au moins. À condition de se contenter de données très impressionnistes et assez difficilement comparables, on dispose plus ou moins de ces cartes ou des chiffres nécessaires à leur réalisation. Dans la seigneurie du Vieux Lavardin (Haut-Maine)10, les cens représentent de 1,7 à 2,3 % du prix de location des terres ; en Haute-Auvergne les cens montent à 3 livres par hectare, 10 % du produit net du sol11 et pour la même région, les redevances seigneuriales peuvent représenter jus-qu’au quart du revenu du paysan12 ; en Haute-Marne13, le prélèvement seigneurial oscille entre 10 à 30 % du produit brut à la veille de la Révolution ; il atteint 6,5 à 11 % dans le Bordelais14, 12 sols par hectare soit 10 % du loyer de la terre dans le Gâtinais15. Ces chiffres montrent à l’évidence quelques régions où la seigneurie semble opérer un prélèvement économique important sur les paysans. Mais si l’on y regarde d’un peu près, on ne peut que remarquer la fragilité de ces résultats et surtout celle des comparaisons régionales.

16 Goubert Pierre, « Sociétés rurales françaises du xviiie siècle. Vingt paysanneries contrastées. Qu (...) 21En 1974, Pierre Goubert a présenté une première synthèse de la question (Sociétés rurales françaises. Vingt paysanneries contrastées. Quelques problèmes) qui fait apparaître les trois états de la seigneurie en France : lourde (les terres de l’Ouest et surtout du Massif Central), légère (le Sud), modernisée (la région parisienne)16. Ces analyses sont loin d’être dépassées, les ouvrages qui ont abordé plus récemment la question pouvant parfaitement se ranger dans l’une ou l’autre de ces trois rubriques, même si la géographie du phénomène est difficile à préciser compte tenu de la grande variabilité locale du poids de la seigneurie.

17 Exemples tirés de l’article de Pegerto Saavedra, « Señoríos y comunidades campesinas en la España (...) 18 Amalric Jean-Pierre, « La part des seigneurs… », art. cit., p. 718-725. 19 García Sanz Angel, Desarollo y crisis del Antiguo Régimen en Castilla la Vieja. Economía y socieda (...) 22En Espagne, le poids économique de la seigneurie, qu’on l’observe du point de vue du seigneur ou du point de vue du tenancier, est également très variable. Tout cela fait que les revenus de la seigneurie, d’où découlent en partie la puissance et le poids de leur titulaire, sont très variables ainsi que nous le montreront ces quelques exemples espagnols17 Faute de droits sur la terre, les seigneurs castillans tirent une bonne part de leur richesse de l’affermage de leur domaine et souvent de la levée des impôts royaux qu’ils ont rachetés à la Couronne. Ainsi, les revenus de la seigneurie de Mayorga, en Vieille-Castille, appartenant au comte de Benavente, sont composés aux trois quarts d’impôts royaux aliénés (1569). Dans la province de Salamanque, vers 1750, même proportion d’environ 75 %, le reste provenant de l’affermage du domaine (20 %) et des droits seigneuriaux (5 %)18. Toujours en Vieille-Castille, même constatation pour le marquisat de Cuéllar (province de Ségovie) : les deux tiers des recettes y proviennent de revenus aliénés de la Couronne et 32 % d’affermages ; dans la seigneurie de Coca, toujours dans cette même province, respectivement 85 % et 14 %19. En Galice, les rentes perpétuelles en nature pesant sur la terre paysanne (foros) forment la base économique la plus sûre de beaucoup de seigneuries, avec les dîmes, mais d’autres ont bénéficié, comme en Castille, de l’aliénation des revenus royaux Le comte d’Altamira tirait la moitié de ses revenus des foros, 43 % des dîmes et seulement 4 % des droits seigneuriaux (en 1762), alors que le comte de Lemos avait accaparé une bonne part des aliénations des revenus de la Couronne. Néanmoins, en Castille comme en Galice, la base domaniale de beaucoup de seigneuries, plus peut-être pour les petites et moyennes que pour celles de la grande noblesse titrée, reste essentielle ce qui n’est pas le cas dans le royaume de Valence où la base des revenus est constituée par le tercio diezmo, les intérêts de rentes constituées, les banalités.

20 Saavedra Pegerto, « Señoríos y comunidades campesinas… », art. cit. 21 Guisado López Juan Manuel, « La propiedad de la tierra y su jurisdicción en el reyno de Granada ha (...) 22 Voir par exemple pour la province de Ségovie, García Sanz Angel, Desarollo y crisis…, op. cit., p. (...) 23 Lorenzo Cadarso Pedro L., Los conflictos populares en Castilla (siglos xvi-xvii), Madrid, Siglo xx (...) 23La part du territoire soumis à un seigneur particulier est très variable selon les royaumes ; en Espagne, on distingue très nettement entre le domaine royal (realengo) et celui des seigneurs (señorío). La part du realengo tourne assez souvent autour de la moitié des terres : 55 % en Catalogne et à Valence, 55 % dans la province de Ségovie, même s’il existe des cas où cette part est bien moindre : 30 % à Salamanque et 10 % seulement en Galice20. En revanche, en Andalousie, si l’on peut du moins généraliser l’exemple du royaume de Grenade, la part des seigneurs est infime (autour de 5 % de la population)21. La plupart de ces chiffres reflètent la situation au milieu du xviiie siècle et il est certain que le realengo était plus étendu deux siècles plus tôt ; en effet, dès le règne de Charles Quint et tout au long du xviie siècle, la monarchie a vendu ou cédé de nombreuses seigneuries en aliénant ou démembrant le domaine royal22. Ces aliénations n’étaient pas du tout du goût des populations qui échangeaient un seigneur inexistant, le roi, contre un seigneur très présent, pressé de récupérer les sommes que lui avaient coûté l’achat de la seigneurie et d’exercer ses prérogatives. De nombreuses révoltes se produisirent au xviie siècle, notamment en Cas-tille, qui avaient comme prétexte, ou point de départ, la vente de la seigneurie à un particulier23.

La seigneurie justicière 24La puissance ou autorité seigneuriale sur les hommes est à l’origine d’un certain nombre de prérogatives, sans doute beaucoup plus prégnantes dans la vie quotidienne. La juridiction seigneuriale se manifeste par l’exercice de la justice. Même si les compétences judiciaires des seigneurs ne sont plus ce qu’elles ont été au Moyen Âge, ceux-ci sont très attachés à son exercice, pour des raisons symboliques (la justice est une prérogative régalienne) et pour des raisons pratiques, les seigneurs ont su toujours su garder pour eux, malgré les empiètements de la justice royale, la juridiction sur le contentieux afférant aux droits seigneuriaux (domaine où ils étaient juges et parties) et la police locale et agraire, souvent en concurrence d’ailleurs avec la communauté.

En Espagne 24 Sales Núria, « Els segles de la decadència (segles xvi i xvii) », Vilar Pierre (dir.), Història de (...) 25En pratique cet exercice de la justice et l’étendue des compétences seigneuriales sont très variables selon les régions. C’est dans le royaume d’Aragon que la justice seigneuriale s’exerce avec le moins de contrôle et le plus de compétence au cours de l’époque qui nous intéresse. Les tribunaux des seigneurs titrés ont infligé et appliqué la peine de mort assez régulièrement jusqu’au milieu du xviie siècle, beaucoup plus rarement après. La monarchie obtient bien en 1599 que l’appel vers les tribunaux royaux soit obligatoire en cas de peine de mort – et non dans aucun autre cas –, sauf pour les voleurs de grands chemins, homicides, crimes de lèse majesté, fauxmonnayeurs, sodomites, c’est-à-dire justement les cas où cette peine était infligée24. En outre, ces tribunaux pouvaient infliger de nombreuses autres peines plus ou moins infamantes : fouet, galères, emprisonnement, bannissement, essorillement, ablation de la main en cas de vol, etc.. La dureté de cette justice est atténuée par le fait que la composition (c’est-à-dire la possibilité de racheter sa peine en payant une amende) est généralisée, même en cas de crime de sang, mais cela ne fait qu’accentuer son iniquité, parce que celui qui peut payer est assuré de l’impunité.

26Mais le royaume d’Aragon reste une exception et généralement la justice royale a peu à peu rogné sur les prérogatives des cours seigneuriales, en se réservant de nombreux cas et en favorisant l’appel devant ses propres tribunaux. Une autre limitation provient du fait que généralement les justices seigneuriales, sauf dans les grands domaines, sont de peu de rapport et coûteraient plutôt au seigneur. Aussi bien ne se réunissent-elles que de temps en temps, avec des juges et un personnel peu compétent, très rarement à plein temps, exerçant leur office en même temps dans d’autres tribunaux royaux ou seigneuriaux. Même en Catalogne ou en Aragon, les tribunaux seigneuriaux connaissent des difficultés au cours du xviie siècle : alors qu’au xvie siècle de nombreux seigneurs disposaient de tribunaux permanents et professionnels, ce n’est plus guère le cas au xviie siècle que des plus grands seigneurs, même si la qualité du personnel judiciaire semble s’être améliorée.

En France 27En France, le droit de justice est diversement réparti entre les seigneuries : certains seigneurs ont des justices importantes, d’autres n’en ont aucune. C’est important pour les seigneurs qui l’exercent à grande échelle : il constitue à la fois un élément de prestige (les aveux des grandes seigneuries commencent parfois par la justice, avant le domaine ou les autres droits) et un instrument de contrôle de la population des vassaux. Il est variablement accordé aux seigneurs selon les coutumes. Les coutumes divisent ordinairement la justice en trois niveaux : la basse, la moyenne et la haute justice. Au xviie siècle, ces distinctions ne peuvent rendre compte de la réalité qui a beaucoup évolué depuis la rédaction des Coutumes : il faut plutôt considérer que chaque seigneurie est un cas particulier et qu’il existe toute une gradation dans l’exercice de la justice compte tenu des divers privilèges et exemptions accordées à différents groupes et individus.

28Le premier niveau de justice exercé par les seigneurs est celui de la justice foncière qui consiste, dans plusieurs régions, à faire que les tenanciers viennent faire leurs obéissances, entendons par là qu’à la réquisition du seigneur ou de ses officiers, ils viennent énumérer ce qu’ils tiennent de la seigneurie et les droits dont ils doivent s’acquitter. À un niveau supérieur, certains seigneurs exercent une justice civile et criminelle. Ils nomment pour cela des officiers seigneuriaux – juges, procureurs et greffiers –, ils ont des audiences réglées (à dates fixes) et ils entretiennent un local où est rendue cette justice, parfois une prison.

29Mais sous l’Ancien Régime, tout pouvoir de justice donne à son détenteur un pouvoir de police et c’est par ce biais que la seigneurie a un rôle important dans la vie des communautés rurales et urbaines. Les seigneurs haut-justiciers ont le pouvoir de police sur toute l’étendue de leur seigneurie ; ce pouvoir est relativement important s’il y a dans leur seigneurie un bourg de quelque importance ou une petite ville. Ils font les règlements qui concernent l’hygiène (ramassage des boues par exemple) et surtout ceux qui ont trait à l’ordre public (horaires des cabarets). À cette autorité de police se rattache tout ce qui concerne les foires et marchés. Il est honorifique, voire rémunérateur, pour un seigneur d’avoir une ville où se déroulent une ou plusieurs foires annuelles. Les espaces où se tiennent foires et marchés, les halles s’il y en a, sont le plus souvent d’appropriation seigneuriale. Les poids et mesures sont aussi du ressort des seigneurs qui en font vérifier la conformité à leur marc ou patron. Il leur appartient, là où des foires et marchés ont lieu dans leur seigneurie, de vérifier l’état sanitaire des animaux abattus et vendus au public. Ils veillent également à ce que les marchés aux grains soient approvisionnés et leur pouvoir de police les autorise à faire faire des visites dans les greniers des particuliers pour empêcher le stockage de grains en période de disette.

Angleterre 30En 1646, le Parlement a aboli la Court of Wards and Liveries (cours des tutelles qui faisait respecter les prérogatives seigneuriales de la monarchie) ; cette décision est acceptée par Charles II en 1660 (déclaration de Breda) et inscrite dans la Constitution. Ceci marque la fin des liens féodaux entre le Roi et les propriétaires relevant de ses domaines. Néanmoins, tous les droits ne sont pas supprimés partout (persistance des dîmes aux mains des seigneurs, et leur suppression sera une des motivations des paysans pour accepter des décisions d’enclosures) et les tenures coutumières ne sont pas concernées. Les seigneurs continuent à exercer la justice et les activités d’organisation de la vie rurale là où ils le faisaient auparavant et tout particulièrement en région d’openfields.

25 Crossley Alan et Currie C. R. J. (dir.), A History of the County of Oxford, Volume 13, Bampton Hun (...) 31La justice seigneuriale s’exerce par le biais de la réunion périodique des tenanciers appelées cours seigneuriales (manor court, court baron, leet court pour les plus importantes) où sont réglés les contentieux concernant les tenures et leur possession ainsi que les infractions à la coutume de la seigneurie. Ces cours sont composées du ou des représentants du seigneur et d’un jury, composé des principaux habitants de la seigneurie, les tenanciers étant tenus d’y assister sous peine d’amende. Elles nomment les dirigeants de la communauté : les constables (souvent deux) et divers officiers municipaux : un tithingman pour chaque dîmerie (il y a en souvent plusieurs par village), des gardes champêtres, bergers, gardes des digues et canaux dans les régions marécageuses, des goûteurs de bière (aletasters), souvenir du temps où ces assemblées s’appelaient « assises du pain et de la bière », etc. Parfois, quand les seigneurs sont absents, ou qu’il y a plusieurs petites seigneuries dans le village, c’est l’assemblée générale des habitants qui régit la communauté, l’organisation des cultures et la gestion des communaux étant un besoin primordial, surtout dans les régions d’openfield. Cela ne va pas sans conflits avec les seigneurs, surtout s’il s’agit de nouveaux seigneurs qui veulent exercer leurs prérogatives. À Aston and Cote (comté d’Oxford), c’était traditionnellement les Seize, tenanciers élus annuellement par leurs pairs, qui réglaient les affaires de la communauté. En 1657, le principal seigneur, Thomas Horde voulut s’approprier leurs prérogatives : il choisit de nouveaux officiers, passa des contrats avantageux avec les tenanciers qui ne reconnaissaient plus l’autorité des Seize et se réserva les prairies. Finalement, on aboutit à un accord selon lequel le seigneur reconnaissait les droits de Seize, à condition que ceux-ci agissent en son nom et lui prêtent serment25.

26 Cooper Janet (dir.), A History of the county of Essex, Tome X, Londres, Victoria County History, 2 (...) 27 Ibid., p. 34-35. 28 Ibid., p. 148-149. 29 Ibid., p. 177-179. 32Au cours du xviie siècle l’activité de ces cours seigneuriales est moins intense qu’à la fin du Moyen Âge et qu’au xvie siècle, elles se réunissent moins souvent, parfois une seule fois par an, parfois moins, contre deux au xvie siècle et plus au Moyen Âge. Les plus petites fusionnent avec d’autres et, bien souvent, elles ne s’occupent plus, sous l’égide du steward de la seigneurie, que de la question des tenures : transferts de copyholds, droits seigneuriaux essentiellement. Ce déclin semble plus marqué, comme cela est logique, dans les zones de bocage ; les courts se réunissent de moins en moins souvent, ou ne se réunissent plus, et intéressent peu de monde comme le montrent ces quelques exemples pris dans le nord de l’Essex : à Aldham à partir de 1671, les leets ne sont tenues qu’épisodiquement et disparaissent en 170426 ; à West Bergholt, les dernières datent de 1645 et la baron court ne s’occupe plus, dès la fin du xvie siècle, que des copyholds et de régler l’utilisation des landes communes27 ; à Copford, le jury ne compte plus que deux ou trois personnes lors de la tenue de la cour du seigneur alors qu’on en comptait jusqu’à trente au xvie siècle28. Si bien que la fabrique et les marguilliers prennent de plus en plus d’importance et s’immiscent dans le gouvernement du village : à Dedham, c’est conjointement avec les constables que les marguilliers nomment quatre inspecteurs des chemins, en 164529.

Le rôle de police : un pouvoir local 33Le seigneur est souvent un important propriétaire foncier et à ce titre il loue beaucoup de terres à des paysans. Les domaines seigneuriaux sont de composition variable, mais ils comprennent souvent des espaces agricoles : prairies de rapport et de décoration autour du château, futaies et taillis, exploitations agricoles. Les plus belles exploitations d’une paroisse sont souvent propriété seigneuriale.

34Dans les régions de vignoble, le seigneur a souvent le privilège non seulement de vendre son vin en premier pendant quelques semaines mais aussi celui de fixer la date des vendanges. Dans beaucoup d’endroits fours et moulins appartiennent au seigneur. Les fours et les moulins constituent un important objet de litige. Les fours sont assez souvent d’appropriation privée et, en pays d’habitat dispersé notamment, hors des villes ou des bourgs, les seigneurs ne semblent pas très attachés à ce monopole. Beaucoup plus rares semblent être les moulins qui ne sont pas propriété seigneuriale, ce qui s’explique par le fait qu’à la différence du four, le moulin est cher à construire et à entretenir. Le monopole seigneurial s’est donc maintenu ; il est de plus rémunérateur pour les seigneurs qui afferment leurs moulins. On sait en quoi ces moulins sont un objet de conflit : le meunier, qui ne court pas le risque de voir sa clientèle s’adresser à un autre moulin, maltraite les vassaux qui sont contraints d’utiliser un moulin particulier, prélevant des droits excessifs, dégradant la farine, ne se pressant pas pour faire son travail.

30 Poitrineau Abel, La Vie rurale en Basse Auvergne au xviiiie siècle (1726-1789), Paris, PUF, 1965, (...) 35La banalité des moulins est liée à un espace. Ce sont les habitants de certains lieux qui sont attachés à un moulin et tous ne le sont pas. Il en résulte des contestations infinies car le meunier privilégie la clientèle libre de ceux qui ne sont pas astreints « à tourner moudre leurs grains » à son moulin au détriment de la clientèle captive des moutaux (ceux qui sont dans la banlieue d’un moulin et qui doivent y porter leurs grains). En Auvergne30, dans certains villages, le four et le moulin appartiennent à la communauté et sont gérés par le « corps commun » des habitants. On ne sait pas trop alors si ils ont un monopole de droit comme lorsqu’ils sont propriété seigneuriale. Les fours et moulins seigneuriaux sont cependant les plus importants et en montagne, les fours individuels sont les plus répandus.

31 Frêche Georges, Toulouse…, op. cit. 32 Cabourdin Guy, Terre et hommes en Lorraine, 1550-1635 : Toulois et comté de Vaudémont, Nancy, Univ (...) 36Dans certaines régions (Ouest de la France par exemple) le seigneur n’a pas de représentation auprès de la communauté d’habitants. Mais dans d’autres, il joue un rôle très important. Dans le Sud-Ouest de la France, il participe à la nomination des bayles31. Il est parfois présent en personne ou représenté lors des réunions des habitants. La Lorraine offre l’exemple d’une région où, au xviie siècle, le seigneur a un fort rôle d’encadrement de la population32. Les coutumes de Lorraine prévoient la création d’un maire par haut et moyen justicier seulement, mais dans la pratique chaque seigneur est représenté par un maire. Il existe quatre modes de désignation du maire : ou bien il est nommé par le seigneur sans intervention des habitants, ou bien le seigneur choisit sur une liste de noms proposés par la communauté, exceptionnellement, la communauté désigne le maire, mais il lui faut pour cela l’accord du seigneur ou de son représentant, ou bien l’office est adjugé aux enchères pour un temps plus ou moins long. Les plus riches y trouvent une possibilité de mainmise sur les communaux et un facteur d’ascension sociale. Au xviie siècle, personne, en Lorraine, ne dénie au seigneur le droit de désigner le premier officier de la communauté. Ce représentant du seigneur a pour fonction de percevoir la taille et les rentes seigneuriales, d’organiser les corvées, de poursuivre les malfaiteurs, de statuer sur les délits mineurs. Lui-même est exempté de taille, peut avoir une part des droits seigneuriaux et il a souvent l’usufruit de quelques terres ou prés du domaine seigneurial. Il convoque l’assemblée des habitants aux plaids du seigneur qui se tiennent une fois par an, devant le pressoir, ou devant le four banal, ou devant la prison, ou sur la place du village, ou dans l’église. Le seigneur participe parfois en personne à ces plaids où sont convoqués, sans aucune distinction, laboureurs et manouvriers. Ces plaids sont annoncés au prône par le curé. Ils s’ouvrent par un appel nominatif des habitants fait par le sergent ; ensuite sont énumérés les droits seigneuriaux. C’est au cours de ces plaids que sont nommés les officiers représentant le seigneur dans la communauté (messiers et banvards), que les banalités sont mises à ferme, qu’a lieu le tirage au sort des hommes de guet, que certaines rentes sont levées, que l’officier chargé de percevoir les amendes rend ses comptes, que sont prises les ordonnances de police locale. Les plaids peuvent durer deux ou trois jours. Ils s’accompagnent parfois de divertissements.

33 Beckett John V., A history of Laxton England’s last open-field village, Oxford/New York, Basil Bla (...) 37En Angleterre, la seigneurie est aussi un cadre dans lequel s’organise la vie rurale, du moins tant que les enclosures n’ont pas fait disparaître les régions de champs ouverts et de pratiques collectives. La seigneurie de Laxton (dans le Nottinghamshire) a fait l’objet de plusieurs études qui en portent témoignage33. Les terres y sont constituées de fields et de commons exploités par les tenanciers. La vie rurale y est réglée par la Manor Court qui se compose de la Court Baron qui autorise et enregistre les changements dans les tenures et de la Court Leet qui règle les usages de fields (elle fait les règlements et les fait appliquer). La cour est convoquée par le baillif ; elle est composée d’un jury de douze personnes et est présidée par l’intendant du seigneur. Tous les occupants de la seigneurie y sont conviés et ils y viennent nombreux au xviie siècle (moins ensuite). Elle reçoit les nouveaux officiers. L’un d’eux est particulièrement important : c’est le pinder qui met des amendes sur le bétail divagant. Elle reçoit également les nouveaux freeholders (acheteurs ou héritiers) et les autres tenanciers. Jusqu’au début du xixe siècle, ils paient un droit d’entrée au moment où ils jurent fealty au lord du manoir. Jusqu’en 1650, la Manor Court s’occupe des copyholders. Elle a la charge de tous les délits mineurs ; elle s’occupe de l’état des chemins qui sont très utiles et très fréquentés puisque les champs sont ouverts collectivement au bétail. Elle peut mettre des amendes à tous ceux qui refusent de comparaître, de jurer fealty, de servir dans le jury, ou qui partent en cours de session. Mais la part la plus importante de son action relève de la court leet : elle consiste à réprimer tous les mauvais usages sur les espaces collectifs, particulièrement sur la sole en jachère. Le jury de douze personnes est en même temps juge et surveillant. En décembre, avant la session de la cour, un outgoing jury se porte sur les champs qui ont été ensemencés et relève les délits : empiétement sur la parcelle du voisin ou sur les chemins, dépose d’engrais ou de déchets dans des espaces collectifs, clôtures mal entretenues… La Manor Court a donc un rôle essentiel dans le fonctionnement de la vie rurale et elle le conserve tant que les enclosures n’ont pas remplacé les pratiques collectives.

La paroisse 38La paroisse ne se confond pas toujours avec la communauté, soit que plusieurs églises paroissiales coexistent sur un même territoire, soit qu’une paroisse regroupe plusieurs communautés, cas plus rare, mais qui se rencontre. La paroisse est un cadre religieux, l’institution où sont dispensés les sacrements, l’enseignement religieux, la charité ; c’est aussi un lieu, l’église, et son annexe le cimetière, familier à tous et qui joue souvent le rôle de maison commune. Les prêtres qui les desservent, souvent originaires de la paroisse, sont bien connus de tous et respectés et leur rôle dépasse leur fonction strictement religieuse.

34 Follain Antoine, art. cit., p. 14. 35 Comme le montre l’exemple de la Normandie étudié par Antoine Follain, « La solidarité à l’épreuve (...) 39La paroisse dispose de revenus qui sont gérés par la fabrique dont le rôle principal est l’entretien de l’église et la fourniture de tout ce qui est nécessaire au bon exercice du culte. Mais dans une bonne partie de la France, dans la zone des communautés paroissiales, pour reprendre le terme utilisé par Antoine Follain34, la gestion de la communauté et celle de la paroisse se confondent en pratique, malgré l’opposition des autorités qui aimeraient que comptabilité « religieuse » et comptabilité « civile » soient séparées. Mais comme ce sont les mêmes hommes nommés par les paroissiens qui gèrent ces deux caisses, et que ce sont les mêmes habitants qui sont concernés, il est normal que des transferts s’effectuent de l’une à l’autre35. En revanche, dans le sud de la France et en Espagne, la comptabilité des fabriques est bien distincte de la municipale et il est bien rare que les comptes consulaires mentionnent des dépenses afférant à l’église ou au cimetière.

40Les fabriques disposent de leurs revenus propres provenant des quêtes dominicales, du casuel, des revenus des rentes constituées ou de biens immeubles appartenant à la paroisse (terres et maisons), de fondations pieuses, de legs, de droits casuels (enterrements) et, le cas échéant, d’une portion des dîmes ; c’est la grande chance des églises castillanes que de disposer, sauf exception, du neuvième des dîmes, qui fournit des quantités souvent importantes. Les dépenses peuvent être divisées en dépenses ordinaires destinées au culte (cire, cierges, huile) et aux frais courants d’entretien de l’église et des objets liturgiques. Mais à côté de ces frais routiniers, que les recettes arrivent à couvrir bon an mal an, apparaissent de temps à autre des dépenses extraordinaires, surtout des réparations à l’église, ou des procès, qui exigent le recours à des financements tout aussi extraordinaires (dons, emprunts…)

36 Carlson Eric, « The origins, function and status of the office of churchwardens, with particular r (...) 37 Ibid., p. 177-179. 38 Ibid., p. 216 et 221. 41En Angleterre, le rôle de la fabrique (vestry) et de ceux qui la dirigeaient, les marguilliers (churchwardens) nommés par le curé ou le vicaire et les fabriciens (vestrymen), s’est beaucoup accru avec l’institution de la nouvelle religion anglicane car par diverses lois datant du milieu du xvie siècle (1552, 1559), ils ont été chargés d’exercer le contrôle des opinions religieuses de leurs concitoyens, en notant et punissant ceux qui n’assistaient pas régulièrement aux offices36. Ils pouvaient ainsi exercer un contrôle moral sur leurs voisins, même si de nombreux exemples prouvent qu’ils n’étaient pas très rigoureux et assez peu enthousiastes à l’heure de renvoyer aux évêques les listes de leurs concitoyens dissidents37. Les attributions de la fabrique n’ont fait que s’accroître à partir du moment où, à la fin du règne Élisabeth, elle a été chargé de l’entretien des pauvres (poor laws de 1597 et 1601) et un peu plus tard de la gestion des fondations pieuses (charities)38. À cet effet, les fabriciens nommaient deux administrateurs (overseers) qui étaient chargés de gérer la caisse des pauvres. Les revenus provenaient des taxes payées par les habitants (rates) et des nombreux legs reçus par la paroisse, dans le même but ; ces legs sont des rentes constituées, ou de biens immeubles (terres, maisons). À côté des tâches habituelles (entretien de l’église et organisation du culte), ce sont les pauvres qui occasionnent les dépenses les plus importantes de la fabrique. En effet, la paroisse ne se contente pas de leur donner de l’argent en liquide, souvent chaque semaine, elle distribue des vêtements, du blé ou du pain à l’issue de la messe, contribue au paiement des fermages et arriérés de rentes, loge quelques familles dans les maisons qu’elle possède, envoie les enfants à l’école ou plus souvent en apprentissage, salarie un chirurgien pour les soigner, etc. Ce système fonctionne assez bien au xviie siècle où les dépenses sont supportables. C’est surtout au xviiie siècle, avec le développement des enclosures que le nombre des pauvres connaîtra une forte augmentation et que le système donnera des signes de faiblesse.

39 Ibid., p. 183 ; Hindle Steve, The state and social change in early modern England, 1550-1640, Basi (...) 40 Hindle Steve, op. cit., p. 216. 41 Ainsi à Northmoor (comté d’Oxford) (Crossley Alan et Currie C. R. J. [dir.], op. cit. p. 165-166). 42 Wright A. P. M. et Lewis C. P. (dir.), A History of the county of Cambridge and the Isle of Ely, v (...) 42Cette loi permettait d’accroître le contrôle sur les pauvres, contrôle moral et social exercé par une oligarchie qui domine la fabrique. Parfois, et même assez souvent, ce contrôle est légalisé par la disparition de la fabrique « ouverte » (où tous les paroissiens pouvaient participer aux assemblées) et son remplacement par la fabrique fermée (closed ou select vestry) où un petit groupe (12, 24) de fabriciens, nommés à vie et se cooptant nommaient les marguilliers conjointement avec le vicaire39. Ces fabriciens sont de riches paysans (yeomen) qui peu à peu prennent le pouvoir sur le village, profitant de l’absentéisme croissant des gentlemen et des nouvelles responsabilités que leur confie la monarchie. Ajoutons que, du fait de la décadence des cours seigneuriales, la fabrique est de plus en plus impliquée dans la vie de la communauté. Dès le milieu du xvie siècle, la paroisse avait reçu la tâche de maintenir les routes en bon état (1555) et de fait, elle continue de nommer des inspecteurs chargés de leur entretien40 et même des gardes champêtres41. C’est dans les zones de bocage que l’accaparement par la fabrique des tâches ailleurs dévolues aux communautés est le plus fort comme le montre cet exemple, choisi parmi tant d’autres. À Over, village de 600 habitants situé dans les Fens du comté de Cambridge, les revenus tirés de terres acquises par la fabrique aux xvie et xviie siècles servent à entretenir une dizaine de pauvres, à défrayer des employés de la communauté, à surveiller et réparer les écluses, les digues et les chemins, à payer les taxes de drainage. À la fin du xviie siècle, le revenu est divisé en trois parties, distribuées aux officiers municipaux (les deux constables), aux marguilliers et aux trésoriers des pauvres42. On a là un exemple tout à fait éclairant de pratiques de confusion des trésoreries entre celle de la communauté, celle de la paroisse et celle des pauvres, séparée en théorie de la fabrique, une confusion que l’on retrouverait avec quelques nuances dans les régions françaises qui sont le domaine des communautés paroissiales. Mais cette montée en puissance des yeomen a une portée politique plus générale alors qu’aux siècles précédents, c’étaient eux, en compagnie de quelques artisans et petits gentlemen qui étaient les leaders naturels des révoltes populaires, ils sont désormais de fermes soutiens de l’État à l’échelon local. Et eux aussi sont gagnants dans ce changement, car le contrôle sévère que leurs fonctions les autorisent à exercer sur la communauté, sur les pauvres, sur les dissidents, sur les fauteurs de troubles, leur permet de maintenir la paix et d’asseoir leur domination sur le village.

Conclusion 43 Follain Antoine, art. cit., p. 44-46. 43Pour terminer, nous pouvons nous interroger sur le degré d’autonomie des communautés paysannes au xviie siècle. Si nous utilisons comme critère la capacité à s’imposer, nous pouvons dire que les communautés paroissiales de la moitié nord de la France se situent au bas de l’échelle puisque les levées qu’elles faisaient encore au xvie siècle disparaissent peu à peu au siècle suivant et qu’elles ne peuvent rien imposer en dehors de la taille, alors que dans le Sud de la France, les communautés pouvaient imposer une somme supplémentaire pour les « frais municipaux » qui était levée en même temps que la taille et selon les mêmes modalités. Cependant, cette liberté d’imposer entraînait bien souvent un endettement bien plus considérable que celui des communautés paroissiales, plus pauvres, en général43. En Castille aussi, les communautés pouvaient lever de telles impositions et, en Angleterre, les marguilliers fixaient le taux des impositions pour les pauvres, mais partout ces levées se heurtaient à plusieurs limitations : l’autorisation (du roi, de l’évêque, de l’intendant) était exigée pour toute levée extraordinaire et, par ailleurs, c’était souvent ceux qui décidaient de ces levées qui étaient le plus concernés, parce qu’ils étaient les plus imposables, ce qui était le cas des élites gouvernant les villages et les paroisses. Mais, par ailleurs, certains d’entre eux, ou leurs parents et alliés, pouvaient bénéficier du système en devenant créanciers des communautés, ce qui à plus ou moins long terme, surtout à notre époque où les communautés pouvaient difficilement rembourser, signifiait acquérir à bon prix la jouissance d’une partie des revenus municipaux ou des communaux qui leur étaient aliénés pour le paiement de leurs intérêts, sinon du capital.

44Il faudrait évoquer aussi la mainmise de la monarchie et le contrôle qu’elle peut exercer, souvent par le biais des finances sur les communautés. Il semble bien qu’en France, le xviie siècle soit marqué par l’accroissement de ce contrôle, notamment au fur et à mesure que les intendants se généralisent et qu’en Espagne, ce soit le contraire qui se produise. La monarchie tatillonne de Philippe II exerce une tutelle assez marquée sur les communautés alors que ses successeurs s’en occupent beaucoup moins ; cela est encore plus vrai dans les royaumes périphériques et surtout dans la Couronne d’Aragon, où le règne de Charles II (deuxième moitié du xviie siècle) est vécu comme celui de la liberté et de l’autonomie. Mais, en Castille, ce siècle est aussi marqué par une emprise croissante des seigneurs, qui bénéficient des aliénations du domaine royal et exercent une emprise croissante sur les villages. En Angleterre, c’est aussi face aux seigneurs que la communauté (ou moins les notables) semble acquérir certaines libertés, profitant de son unité et de sa pérennité, alors que les seigneuries sont nombreuses sur le même territoire et changent souvent de mains et les seigneurs souvent absents.

NOTES 1 Jacquart Jean, La Crise rurale en Île-de-France. 1560-1670, Paris, Armand Colin, 1974, chapitre II, p. 67-100 : « Seigneurie, paroisse et communauté d’habitants ».

2 Jacquart Jean, « Immobilisme et catastrophes (1500-1660) », Duby Georges et Wallon Armand (dir.), Histoire de la France rurale, tome 2, L’âge classique. 1340-1789, p. 284-285.

3 Baehrel René, Une Croissance : la Basse-Provence rurale (fin du xvie siècle-1789). Essai d’histoire économique statistique, Paris, SEVPEN, 1961, p. 453-457 ; Frêche Georges, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au Siècle des Lumières (vers 1670-1789), Paris, Cujas, 1974, p. 398-405 ; Brumont Francis, « Le Pouvoir municipal en Vieille-Castille au siècle d’or », Bulletin Hispanique, tome lxxxvii, n° 1-2 (1985), p. 123-130 ; Brumont Francis, « Oligarchie et pouvoir municipal dans les campagnes de Vieille-Castille (xvie-xviie siècles) », Lambert-Gorges Martine (dir.), Les élites locales et l’État dans l’Espagne moderne, xvie-xixe siècle, Bordeaux, CNRS, 1993, p. 21-30 ; Brumont Francis, Paysans de Vieille-Castille aux xvie et xviie siècles, Madrid, Casa de Velázquez, 1993, p. 333-336 ; Zink Anne, Clochers et troupeaux. Les communautés rurales des Landes et du Sud-Ouest avant la Révolution, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1997, 483 p. ; Izquierdo Martín Jesús, El rostro de la comunidad. La identidad del campesino en la castilla del Antiguo Régimen, Madrid, 2002, 795 p.

4 Follain Antoine, « Comptabilités paroissiales et communales. Fiscalité locale du xiiie au xviiie siècle », Follain Antoine (dir.), L’argent des villages. Comptabilités paroissiales et communales. Fiscalité locale du xiiie au xviiie siècle, Rennes, Association d’Histoire des Sociétés Rurales, 2000, p. 5-54.

5 Neeson Jeanette M., Commoners : common right, enclosure and social change in England, (1700-1820), Cambridge, CUP, 1993, 382 p. ; pour la France méridionale, Zink Anne, Clochers et troupeaux…, op. cit.

6 Saint-Jacob Pierre de, Les Paysans de la Bourgogne du nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, Paris, Les Belles Lettres, 1960, p. 74.

7 Antoine Annie, « La seigneurie, la terre et les paysans, xviie-xviiie siècles », Bulletin de la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine, 1999, 1-2, p. 15-33.

8 Amalric Jean-Pierre, « La part des seigneurs dans la province de Salamanque au xviiie siècle », Congreso de Historia Rural. Siglos xv al xix, Madrid, 1984, p. 719.

9 Brumont Francis, « Propriété et exploitation de la terre en Grande-Bretagne », Fréchet Hélène (dir.), La terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne de 1600 à 1800, Paris, Éditions du Temps, 1998, p. 99-136 ; Antoine Annie, Boehler Jean-Michel, brumont Francis, L’Agriculture en Europe occidentale à l’époque moderne, Paris, Belin, 2000, p. 109-112.

10 Bois Paul, Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, Le Mans, Imprim. M. Vilaire, 1960, xix-717 p., rééd., Paris, EHESS, 1984.

11 Leymarie Michel, « Les redevances foncières seigneuriales en Haute-Auvergne », Annales historiques de la Révolution française, 1968, n° 193, p. 299-380.

12 Dalby Jonathan R., Les Paysans cantaliens et la Révolution française. (1789-1794), trad. fr. par Catherine Marion, Clermont-Ferrand, Publications de l’Institut d’Études du Massif Central, 36, 1989, 187 p.

13 Clère Jean-Jacques, Les Paysans de la Haute-Marne et la Révolution française. Recherches sur les structures foncières de la communauté villageoise (1780-1825), Paris, CTHS, 1988, 400 p.

14 Aubin Gérard, La Seigneurie en Bordelais au xviiie siècle d’après la pratique notariale, 1715-1789, Rouen, Publication de l’Université de Rouen, n° 149, 1989, 474 p.

15 Dupâquier Jacques, La Propriété et l’Exploitation foncière à la fin de l’Ancien Régime dans le Gâtinais septentrional, Paris, PUF, 1956, 272 p.

16 Goubert Pierre, « Sociétés rurales françaises du xviiie siècle. Vingt paysanneries contrastées. Quelques problèmes », Conjoncture économique. Structures sociales, Hommage à Ernest Labrousse, Paris/La Haye, Mouton, 1974, p. 375-387.

17 Exemples tirés de l’article de Pegerto Saavedra, « Señoríos y comunidades campesinas en la España del Antiguo Régimen », Sarasa Sánchez Esteban et Serrano Martín Eliseo (dir.), Señorío y feudalismo en la Península Ibérica, Saragosse, 1993, tome I, p. 427-473.

18 Amalric Jean-Pierre, « La part des seigneurs… », art. cit., p. 718-725.

19 García Sanz Angel, Desarollo y crisis del Antiguo Régimen en Castilla la Vieja. Economía y sociedad en tierras de Segovia. 1500-1814, Madrid, Akal, 1977, p. 318-319.

20 Saavedra Pegerto, « Señoríos y comunidades campesinas… », art. cit.

21 Guisado López Juan Manuel, « La propiedad de la tierra y su jurisdicción en el reyno de Granada hacia 1750. Un ensayo de cuantificación de la magnitud del régimen señorial », dans : Congreso de Historia Rural, op. cit, p. 599-612.

22 Voir par exemple pour la province de Ségovie, García Sanz Angel, Desarollo y crisis…, op. cit., p. 337, et pour la Tierra de Campos, Yun Casalilla Bartolomé, Sobre la transición al capitalismo en Castilla. Economía y sociedad en Tierra de Campos (1500-1830), Valladolid, Junta de Castilla y León, 1987, p. 325-329.

23 Lorenzo Cadarso Pedro L., Los conflictos populares en Castilla (siglos xvi-xvii), Madrid, Siglo xxi, 1996, 261 p.

24 Sales Núria, « Els segles de la decadència (segles xvi i xvii) », Vilar Pierre (dir.), Història de Catalunya, vol. IV, Barcelone, Edicions 62, 1989, p. 168-169.

25 Crossley Alan et Currie C. R. J. (dir.), A History of the County of Oxford, Volume 13, Bampton Hundred (Part One) Londres, Victoria County History, 1996, p. 74-75.

26 Cooper Janet (dir.), A History of the county of Essex, Tome X, Londres, Victoria County History, 2001, p. 18-19.

27 Ibid., p. 34-35.

28 Ibid., p. 148-149.

29 Ibid., p. 177-179.

30 Poitrineau Abel, La Vie rurale en Basse Auvergne au xviiiie siècle (1726-1789), Paris, PUF, 1965, 2 vol. 780 et 149 p.

31 Frêche Georges, Toulouse…, op. cit.

32 Cabourdin Guy, Terre et hommes en Lorraine, 1550-1635 : Toulois et comté de Vaudémont, Nancy, Université de Nancy II, coll. « Annales de l’Est. Mémoire ; 55 », 1977, 2 vol., 763 p.

33 Beckett John V., A history of Laxton England’s last open-field village, Oxford/New York, Basil Blackwell, 1989, 340 p.

34 Follain Antoine, art. cit., p. 14.

35 Comme le montre l’exemple de la Normandie étudié par Antoine Follain, « La solidarité à l’épreuve de l’argent dans les villages normands du xve au xviie siècle », Follain Antoine (éd.), L’argent des villages…, op. cit., p. 184-238 ; également, Bonzon Anne, « Quand l’Église parle d’argent… Le contrôle ecclésiastique de l’argent des villages dans la France du Nord au xviie siècle », Follain Antoine (éd.), L’argent des villages…, op. cit., p. 291-307.

36 Carlson Eric, « The origins, function and status of the office of churchwardens, with particular reference to the diocese of Ely », Spufford Margaret (dir.), The world of rural dissenters, 1520-1725, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 170-171.

37 Ibid., p. 177-179.

38 Ibid., p. 216 et 221.

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