La Marquerose (étymologie)
Durant le cours du XIVe siècle, les évêques de Maguelone prirent l’habitude d’ajouter à leurs titres féodaux ordinaires celui de seigneur de la Marquerose. – « Comitis Melgorii et Montisferandi, dominique Salvii et de Duroforti ac Marcherose », lit-on dans un mandement de Philippe de Valois du 26 juillet 1344 ; - « comes Melgorii et Montisferrandi, ac Marcherose, Brixaguesii et bailliviarum Salvii et Durifortis dominus », dit un autre mandement du même roi du 28 janvier 1349 . Le 1er avril 1395, lors de la visite seigneuriale de l’évêque Antoine de Louvier à Villeneuve-lès-Maguelone, la population clamait : « Viva, viva Monseignor de Magalona, comte de Melgueur et seignor de Marcharosa » . Au XVIIIe siècle encore, « les évêques de Montpellier prenaient, à l’imitation des évêques de Maguelone leurs prédécesseurs, le titre honorifique et passablement prétentieux pour l’époque, de Marquis de la Marquerose » .
Notre vieil historien Gariel, dans son Series Praesulum Magalonensium, a rattaché ce vocable de la Marquerose « à l’existence d’un ancien bois, voisin du château du Terral » : « Marcharosa ubinam sit. Cum in veteribus Episcopii nostri chartular is Praesules nostri Melgori Comites et marchae-Rosae Marchiones inscribantur, diutius et accuratius exquisivi ubinam gentium Marchionatus ille existeret, cujus nomen legeretur audireturque, non videretur ipse. Tandemque comperi Marcherosam sylvam olim fuisse, juxta quam Terralium constructum erat sacellum, cujus jurisdictioni subdebantur : Balarucum, Frontignanum, Veruna, Sausanum, Pignanum, fabrica, Agnacum, Cornonterralium, Gigeanum, Cornonsiccum, Porsanum, Murus-vetus, Miravallium, Monbasecum, Villanova » .
Au cours de la préparation de son Histoire de la Commune de Montpellier, germain se préoccupa de vérifier l’explication donnée par Gabriel. Ses recherches furent d’abord infructueuses : « Quelques recherches que nous ayons faites (écrivait-il en 1851), nous n’avons pu décourvir aucun texte favorable ou contraire à cette étymologie ». « Il ne nous a pas été possible, eu égard au silence des documents, d’établir d’une manière satisfaisante la signification du mot Marcherose ou Marquerose ». « La seule chose certaine, c’est que la Marcherose ou Marquerose formait, comme le mot français l’indique, un marquisat ». Mais Germain ne tarda pas à être plus heureux, et, en 1854, il consignait le résultat de ses trouvailles dans une note de son Etude historique sur les comtes de Maguelone, de Substantion et de Melgueil : « Je ne dois pas laisser ignorer que je suis enfin parvenu à vérifier l’assertion de Gariel relative à la situation de la Marquerose. « La Marquerose figure dans divers compoix des archives de la commune de Saint-Jean-de-vdas, et je puis aujourd’hui affirmer, en précisant l’indication du savant chanoine, que ce nom était celui d’une terre, sise au-dessous du château du Terral, dans la direction de La Vérune, mais assez éloignée de ce village néanmoins, puisqu’elle se trouvait en-deçà de la rivière de la Mosson, et sur la pente de la colline dont le château occupe le sommet. « Cette terre, qu’une tradition prétendait avoir été un ancien bois, est actuellement plantée de vignes, et appartient à la famille Cambon, qui l’a acquise en 1791 avec l’ensemble du domaine ecclésiastique du Terral, lors de la vente des biens nationaux ». EN 1879, au cours de son article sur le Temporel des Evêques de Maguelone et de Montpellier, Germain rappela ses observations antérieures sur « ce qu’il fallait entendre la Marquerose » : « La Marquerose, qui avait pour chef-lieu le château du Terral, … et dont le nom est, dans les compoix de la commune de Saint-Jean-de-Védas, demeuré affecté à une terre sise au-dessous de ce château, du côté de la rivière de la Mosson, embrassait féodalement une quinzaine de villages alentours… « C’était, comme le mot l’indique, sans qu’on puisse toutefois lui assigner une étymologie bien précise, un marquisat… ».
Dès 1851, Germain nous avait présenté comme une chose certaine, comme « la seule chose certaine », ce vocable Marquerose indiquant un marquisat. Un marquisat, parce que les mots Marquisat et marquerose commencent tous deux par les quatre mêmes lettres ! Cette certitude nous paraît bien relative. Elle a pu être acceptée aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans un sentiment de gloriole nobiliaire. Mais nous avons le droit aujourd’hui de nous montrer un peu plus critiques. Quoiqu’il en soit de la question du marquisat, nous savons, grâce à Germain, que le nom de la Marquerose est resté attaché jusqu’à nos jours à une terre faisant partie du domaine du Terral. Eugène Thomas a donné de la Marquerose, en 1863, dans son article intitulé : Des Etymologies des Noms géographiques dans le département de l’Hérault, et en 1865, dans son dictionnaire topographique du département de l’Hérault, une étymologie, appuyée sur un texte, et sur une rubrique marginale du cartulaire de Maguelone, qui a été adoptée par les rédacteurs du Dictionnaire géographique de France de Paul Joanne et qui par suite a chance de faire autorité pendant longtemps. D’après cette opinion, le vocable la Marquerose viendrait du latin mare crosum, fourni par une charte de 1181. Eugène Thomas s’explique ainsi : « Par testament du mois d’août 1181, Othon de Cournon donne à l’évêque de Maguelone le droit de pêche dans la partie de l’étang de Vic appartenant à ce seigneur, et tous ses droits dur le château de Gigean et sur les salines de Villeneuve dans la Marquerose. Volo et jubeo quod ecclesia magalonensis possit batudam habere, sine omni usatico, in mea parte Vico, … et de omni jure quod habebam in castro de Gijano et in salinis de Villanova in Mari croso, 1181 (Cartul. Maga., A, 45). En marge de cet acte, qu’on pourrait appeler baptistaire de Marquerose, on lir Marcarosa. « On trouve d’ailleurs Marcharosa, 1344, 1348 (Lettr. royaux de maguel. 57, 58 v°, 62) ; Baronia de Mar qrosa, 1369 (Invent. de Maguel., 221 v°) ; 1464 (Gall. christ. VI, inst., c. 387) ; Marquerose (marquisat) dans les actes postérieurs de l’évêché ; La marquerose, 1587 (arch. de l’hérault, charte de l’évêché de Montpellier).
« Ainsi se manifeste successivement dans ces textes la transformation de in mari croso de 1181, qui s’explique par la position basse, creuse, du fief du littoral, par rapport à la partie montagneuse du terrain qui le borne vers le nord vers Montferrand, et par le nom d’étangs des Crozes que portait autrefois l’étang de Palavas (Hôpital Saint-Eloi de montpellier, B.5). « Or, ces mots orthographiés par abréviation Mar’ croso, Marq’ rosa, comme on les trouve souvent écrits dans les actes de l’évêché de Maguelone, ont donné lieu à la dernière synonymie de Marcarosa et de Macharosa, ainsi que le confirme la note marginale de l’instrument de 1181, cité plus haut : de là le nom du fief, seigneurie, baronnie, marquisat de la Marcherose ou Marquerose, auquel il serait difficile d’ailleurs de trouver une autre origine géographique ou historique ». Germain ne crut pas pouvoir accepter cette opinion d’Eugène Thomas, et dans le même fascicule des Publications de la Société archéologique de Montpellier, où elle était exposée (août 1863), l’éminent professeur y répondait en ces termes :
J’ai déjà eu l’occasion de dire, à diverses reprises, ce que c’était que le fief de la Marquerose, et je n’aurais rien à ajouter à mes renseigenements, si depuis lors ce s’était produite une assertion, au sujet de laquelle je ne puis m’empêcher de m’expliquer, sans courir le risque d’être taxé d’ignorance. « Un de nos amis, dont j’ai la science en grand honneur, a, dans un travail fort estimable publié en 1862, relié étymologiquement le mot Marquerose à la désignation topographique in mari croso, qu’offre la transcription au Cartulaire de maguelone, reg. A, fol. 45, du testament d’othon de Cournon, du mois d’août 1181. Ce texte m’était connu, et je l’avais même vu répété au fol. 24 du reg. F du Cartulaire mentionné. Mais il ne m’avait pas paru possible de le prendre à la lettre : j’avais cru y découvrir simplement une forme viscieuse due à un rédacteur inexpérimenté ou par trop naïf. Il faut, en effet une bonne dose de naïveté pour dire de la mer qu’elle est creuse : et il en faudrait supposer davantage encore de la part de toute une époque, si elle avait réellement imaginé pareil vocable. « Tant bonhomie ne m’avait pas semblé admissible ; et j’avais préféré rapporter la désignation topographique de marquerose à un tènement de ce nom, contigu au château du Terral, et dont le plan cadastral de la commune de Saint-Jean-de-Védas m’avait révélé l’existence. Le nom de ce tènement s’est perpétué jusqu’à nos jours. Il m’avait paru fournir une étymologie d’autant plus rationnelle, que le château du Terral a toujours été considéré comme une sorte de chef-lieu de la Marquerose, et que la Marquerose, d’ailleurs, renfermait, indépendamment de ce point culminant, diverses localités qui n’étaient situées ni sur la mer, ni dans les vallons. « J’attendrai pour changer d’avis qu’on m’ait opposé des arguments plus sérieux. Tout ce que je consentirais à admettre, quant à présent, c’est que le tènement de la Marquerose, en dessous du Terral, a pu devoir primitivement son nom particulier à sa situation sur le versant d’un monticule, au sommet duquel s’élevait cet ancien château, et d’où l’œil embrasse à la fois la plage de la Méditerranée et la vieille cathédrale de Maguelone, sises l’une et l’autre dans une sorte de creux ou d’enfoncement, par rapport au donjon féodal du haut de la colline. « L’appellation, ainsi localisée, s’expliquerait avec un peu de complaisance, et on concevrait qu’elle se fût étendue de ce point spécial, centre juridictionnel du fief, au fief tout entier.
« Mais, s’il me fallait renoncer à localiser en ce sens l’origine étymologique de la Marquerose, et si l’on voulait me la faire chercher en dehors du tènement de ce nom, inscrit au plan cadastral de la commune de Saint-Jean-de-Védas, j’aimerais encore mieux voir dans le mot Marquarosa, et dans ses variantes Marcarosa, Marcharosa, un dérivé du mot féodal Marca, que de m’exposer à faire noyer dans la mer creuse, par nos ancêtres, nombre de villages et de côteaux, dont leur intelligence a dû comme la nôtre apprécier l’élévation. Le titre de Marquis de la Marquerose, qu’ont longtemps porté nos évêques, soit de Maguelone, soit de Montpellier, donnerait au moins historiquement une apparence de raison à cette dernière étymologie.
Nous ajouterons quelques observations personnelles au sujet de l’étymologie proposée par Eugène Thomas. – Et d’abord une observation d’ordre paléographique. On nous pardonnera d’être minutieux. – Il importe de bien préciser ce que Eugène Thomas nous a donné, tant dans le texte et dans l’appendice de son Dictionnaire que dans ses Etymologies, et de bien voir ce qu’il convient de déduire de la réalité des choses. dans le texte du Dictionnaire topographique, Thomas a placé des indices d’abréviation sur la troisième lettre, - le R de Mar, - aussi bien pour Mar croso, que pour Mar qrosa. – Dans la table des formes anciennes, qui termine le Dictionnaire topographique, - de même que dans les Etymologies de noms géographiques dans le département de l’Hérault, - nous trouvons parallèlement Mar crosum, avec l’indice d’abréviation sur le Q qui suit mar. Soit, - pour condenser ces trois transcriptions en formules plus laconiques, - d’une part, dans le texte du Dictionnaire, avec le tilde comme indice d’abréviation : Mar croso = Mar qrosa ; d’autre part, dans l’appendice du Dictionnaire, également avec le tilde, et dans les Etymologies, avec l’apostrophe, comme indice d’abréviation : Mar crosum = Marqrosa. Mar’croso = Marq’rosa. ces deux dernières formules ne diffèrent entre elles que par une variante de composition topographique, et elles peuvent se réduire à une seule, d’après laquelle MAR, + une abréviation sur R, + croso ou crosum, équivaut et aboutit à Marq, + une abréviation sur Q, + rosa. Sous ce libellé synthétique, il apparait clairement que, dans la pensée de l’auteur, toute la différence, existant entre Mar’croso et Marq’rosa, de réduit à une transposition d’abréviation. – D’où cette argumentation facile : Mare crosum abrévié = Marquarosa abrévié. – Les deux abréviations s’équivalent entre elles. Avec le temps, entre 1181 et 1344, il se sera produit un déplacement de l’abréviation primitive. la syllabe faible aura été repoussée plus loin : Mare crose sera devenu Marquerose. Dons Marquarose est la transformation de « in mari croso de 1181 ». L’hypothèse est assez séduisante pour l’œil, s’il n’y avait pas en l’espèce qu’une question de graphie, et si les anciennes abréviations n’étaient que le remplacement, par un signe (tel notre apostrophe actuelle), des voyelles se prononçant eu ou point. Mais il n’en allait pas ainsi dans la paléographie du moyen âge. Du XIIe au XIVe siècle tout particulièrement, les lettres abréviées se lisaient, se prononçaient, exactement comme si elles avaient été écrites. En outre, à part quelques-unes qui étaient susceptibles de plusieurs interprétations, interprétations entre lesquelles le contexte indiquait le choix à faire, les diverses abréviations avaient leur forme respective et leur sens respectif, bien déterminés. Dans l’espèce, cette forme respective et ce sens respectif suffisaient à interdire toute tentative d’assimilation ; en outre, il était indispensable de tenir compte de l’emplacement respectif de ces abréviations.
Nous sommes obligé de reconnaître que les abréviations produites par Thomas, pour mari croso, mare crosum, aussi bien que Marquarosa, ne sont pas à l’abri de tout reproche, au point de vue de l’exactitude de la reproduction, non plus qu’au point de vue de l’exactitude de l’interprétation. Les transcriptions : Mar, + un indice d’abréviation, - pour Mar(i) et Mar(e) méritent presque d’être qualifiées de fantaisistes ; c’est en vain qu’on chercherait dans le texte manuscrit de 1181, utilisé et cité par Thomas. Le testament d’Othon de Cournon, du mois d’août 1181, a été copié deux fois, au cours du Cartulaire de Maguelone : dans le tome A et dans le tome F. Dans la copie du tome A, in mari croso a été transcrit en toutes lettres, sans aucune abréviation, avec un grand accent sur le i final de mari ? Dans la copie du tome F, in mari croso a été transcrit avec une abréviation de la lettre r de mari. et sans acdent sur le i final de ce mot. Le susdit registre A contient également une autre document, celui du mois de septembre 1181, dans lequel reparaît la mer creuse : les mots de mare crosum y sont transcrits en toutes lettres, sans aucune abréviation. L’unique abréviation fournie par el manuscrit, dans ces deux actes de 1181, pour le mot mari, ne porte donc que sur la lettre R, soit ma(r)i, et non pas sur le i ou le e final, soit mar(i), mar(e), comme l’a imprimé et réimprimé Thomas. Ce n’est pas, d’ailleurs, la seule inexactitude, qui ait échappé, dans la circonstance à l’auteur du Dictionnaire topographique. Quand il nous présente « ces mots orthographiés par abréviation « Mar’croso, Mar’qrosa, comme on les trouve souvent écrits dans les actes de l’évêché de Maguelone », il nous apporte une assertion absolument sans fondement. Par surcroît, cette assertion, alors même qu’elle serait inexacte, resterait totalement impuissante à fournir un appui à son oppinion. La forme Mar’qrosa, donnée deux fois dans le texte du Dictionnaire, imposerait, en effet, la même lecture que Mar’croso : Mar(i)croso, Mar(i)qrosa, soit le même mot, au masculin et au féminin, dans un cas, avec un C correct, et dans l’autre cas avec un Q incorrect, et non pas deux mots, dont le second procédant du premier. Ce qui n’ets pas ce que Thomas entendait démontrer. Eugène Thomas est resté davantage dans l’exactitude de la transcription paléographique, quand il nous a fourni, tant dans les Etymologies que dans l’appendice du Dictionnaire, la lecture Marq’rosa, avec un indice d’abréviation sur le Q. Encore a-t-il négligé de nous indiquer la nature de cet indice d’abréviation et de nous préciser la lecture qui en découlait. Il s’est borné à nous présenter ce mot abrévié, comme ayant avec Mar’croso, « donné lieu à la dernière synonymie de Marcarosa et de Marcharosa ». Cette façon approximative de transcrire et d’interpréter les abréviations ne peut véritablement pas se défendre. Nous sommes ici en présence de deux abréviations certainement différentes, placées sur deux lettres différentes, l’une dans la première syllabe du mot, l’autre sur la seconde syllabe. Il convenait de ne pas confondre deux choses aussi peu semblables. Dans le mot abrévié Marq’rosa, nous pouvons avoir affaire, comme indice d’abréviation, soit à une simple barre horizontale suscrite, ce qui nous donnerait la lecture que, soit à un a ouvert applati suscrit, ce qui nous donnerait la lecture que. D’où deux lextures possibles : Marquerosa ou Marquarosa. Dans les deux cas : non pas la même chose que Mari croso ou Mare crosum, avec les variantes d’importance secondaire, mais une chose absolument différente, avec des caractéristiques très particulières. L’identification paléographique présentée par Eugène Thomas n’a donc, avouons-le, aucune portée. Mare crosum reste nettement distinct de Marcarosa, Marcharosa ou Marquarosa.
Autre observation, celle-ci d’ordre plus spécialement historique et géographique. Le passage du testament d’Othon de Cournon porte exactement ceci : « Donationem, quam feci domino Johanni, Magalonensi episcopo, de omni jure quod habebam in castro de Gijano et in salinis de Villanova, in mari croso vel alibi, confirmo et laudo ». Cette transcription de la phrase in-extenso nous amène à constater quelque différence, entre la réalité des choses et ce que nous a montré la citation faite dans les Etymologies et dans le Dictionnaire topographique. Dans cette citation inachevée, telle que la donne Eugène Thomas : de omni jure quod habebam in castro de Gijano et in salinis de Villanova in Mari croso, de même que dans l’intitulé incomplet tel qu’il figure en tête du document, dans le cartulaire de maguelone : omne jus quod habebat in castro du Gijano et in salinis de villanova in mari croso, les salins de Villeneuve semblent bien être dits situés in mari croso. La phrase du testament transcrite in-extenso nous montre, au contraire, la mer creuse, comme une unité, faisant suite à d’autres dans l’énumération : in castro de Gijano et in salinis de Villanova, in mari croso vel alibi, c’est-à-dire des droits que possédait Othon de Cournon – 1° dans le castrum de Gigean, - 2° dans les salins de Villeneuve, - 3° dans la mer creuse, - 4° ailleurs, - en d’autres endroits, qui avaient vraisemblablement indiqués avec plus de précision, dans l’acte de la donation, - donation que le testament de 1181 ne fait que rappeler et confirmer. C’est d’ailleurs bien dans ce sens d’une unité faisant suite à d’autres, que le mare crosum a été entendu au XIVe siècle, par le rédacteur de la table méthodique du cartulaire de Maguelone : totum jus quod habebat in castro de Gijano, in salinis de Villanova et in mari croso. Nous ne nous attarderons pas à rechercher le sens vériotable des mots in mari croso. Nous nous bornerons à constater que le texte du testament de 1181, malgré la présence de la rubrique de diversis Marcarose, ne contient absolument rien, qui puisse autoriser à placer géographiquement les salins de Villeneuve « dans la Marquerose », comme l’a fait Eugène Thomas. Nous venons de voir que, de par le texte lui-même, ces salins n’étaient pas in mari croso, que ces salins et la mer creuse étaient deux unités topographiques différentes. Nous pouvons préciser et affirmer davantage. La table méthodique du cartulaire établit, de façon péremptoire, qu’au XIVe siècle, le grand domaine épiscopal et capitulaire de Villeneuve était indépendant de la Marquerose, alors que le castrum de Gigean en faisait bien réellement partie. Dans ces conditions, nous sommes obligés de reconnaître que traduire in mare croso par « dans la Marquerose », c’est commettre une erreur géographique historique. Il est, par conséquent, interdit de considérer le mare crosum comme ne faisant qu’un avec la Marquerose, quelles que puissent être les similitudes existant entre les deux vocables. Le Mare crosum et la Marcarosa ne doivent pas plus se confondre géograp^hiquement et historiquement, que Mare crosum et Marq(ua)rosa ne doivent se confondre paléographiquement. Au surplus, la rubrique marginale : Marcarosa, ou plus exactement de diversis Marcarose, placée dans le Cartulaire de Maguelone, à côté de l’intitulé initial de ce document de 1181, que Eugène Thomas nous présente comme « le baptistaire de [la] Marquerose », est loin d’avoir l’explication précise, qu’il lui attribue. Il ne s’agit pas d’une note, ajoutée en marge pour signaler ou interpréter un passage du texte, mais tout simplement d’une cote géographique, analogue à celles dont sont munies toutes les autres pièces du Cartulaire, d’une cote, correspondant à un chapitre de la table méthodique du Cartulaire, et destinée simplement à marquer la section des biens et droits épiscopaux ou capitulaires, à laquelle la charte se rapporte. On a visiblement rattaché ce document de 1181 à la section de la Marquerose, parce que, dans son ensemble, il vise surtout des localités ou domaines faisant partie de la Marquerose : Vic, Cournon, Antonègre, Montbazin, Gigean, etc. C’est seulement au second plan que l’on voit apparaître les salins de Villeneuve, la mer creuse , les anguilles de Pérols, sans compter le château de Montlaur, etc. la seule cote géographique, qui pût convenir à ce document, était bien celle qui lui a été attribuée : dans le chapitre Marquerose, le sous-chapitre : divers, de diversis Marcarose. Nous devons nous rendre compte de ce qu’a entendu écrire l’auteur de la cote géographique en question, et éviter de mettre à son actif ce qu’il n’a dit en aucune façon ;
Les observations, que nous venons de présenter, tant sur la portée réelle de la rubrique géographique, inscrite dans le Cartulaire de Maguelone, en marge de l’intitulé du document de 1181, que sur l’interprétation des mots in mari croso, relativement à in salinis de Villanova, et sur les abréviations respectives, non susceptibles de confusion entre elles, de ma(r)i croso et de Marq(ua)rosa, s’appliquent, on peut dire exclusivement, aux à côté de la question, et non à la question elle-même. La question elle-même, c’est-à-dire la transformation, entre le XIIe siècle et le XIVe, entre 1181 et 1344, pour citer exactement les dates mentionnées dans le Dictionnaire topographique, de mare crosum en Marcarosa, n’a pas été étudié par Eugène Thomas. Il s’est borné à une simple affirmation de la transformation et de la synonymie. Aucun texte intermédiaire n’a été produit par lui, d’o*ù puisse résulter la moindre probabilité en faveur de la thèse du passage de mare crosum à marcarosa. Et il y a une bonne raison à cette pénurie de textes – et à ce silence de l’auteur du Dictionnaire topographique – c’est qu’une évolution de mare crosum en marcarosa est, au point de vie phonétique, absolument impossible. Jamais, le mare crosum de 1181 n’aurait pu devenir marquerose, marcarosa, au XIVe siècle.
On comprendrait, à la rigueur, que Marcarosa, en quatre syllabes inégalement accentuées, ait pu devenir su XIIe au XIVe siècle Marc’rosa, en trois syllabes, lequel Marc’rosa aurait pu être traduit inégalement par car cros, en languedocien, et mare crosum, en latin. Mais ce n’est pas au XIVe siècle que nous trouvons le mare crosum, c’est au XIIe siècle. Il ne faut pas vouloir faire évoluer la phonétique à rebours. Le latin Marcarosa a donné normalement Marquerose, l’accentuation de la seconde syllabe ayant persu une partie de sa valeur originelle. Il s’est produit là le phénomène constant de la simplification des mots, soit par la diminution, soit par la suppression des syllabes moins fortement accentuées. L’évolution phonétique conduit invariablement du plus au moins. Elle réduit ; elle n’augmente pas. Elle fera, d’au moins trois syllabes, un mot de deux syllabes seulement, mais d’un mot de deux syllabes seulement, elle ne fera jamais un mot de trois syllabes. Le latin mare crosum n’aurait pu donner, en languedocien, que marc ros, ou au féminin mar crose, et non pas mar carose ou mar querose, de même que vallis crosa, ou plutôt vallem crosam, n’a pu donner et n’a donné que Valcrose, et non pas Valcarose ou Valquerose, de même que rivum crosum n’a pu donner et n’a donné que Rieucros et non pas Rieucaros ou Rieuqueroux. La philologie nous oblige impérieusement à écarter l’hypothèse, d’après laquelle Marcarosa proviendrait de mare crosum. Marcarosa a certainement une autre étymologie. Encore une fois, Mare Crosum et Carcarosa sont deux choses indépendantes l’une de l’autre.
Elles le sont de par la phonétique. Nous avons vu qu’lles le sont aussi de par la paléogrpahie et de par leur teneur historique et géographique du document de 1181, cité incomplètement par Thomas. J’ajouterai qu’elles le sont égalemnet de par l’identification topographique, apportée par Gabriel et confirmée par Germain. Il est impossible de voir une mer creuse dans le terroir, jadis planté en bois, Marcherosam sylvam, aujourd’hui planté en vigne, qui s’étend sur le flanc ouest de l’élévation de terrain, relativement importante, où a été construit au moyen âge e château du Terral.
Le vocabulaire topographique romain, non plus que le vocabulaire rtopographiquie roman, dérivé du latin, ne nous fournit aucun terme susceptible d’expliquer ce nom de lieu, que les textes latins du moyen âge nous ont transmis sous les trois formes, représentant incontestablement une même prononciation et ne variant entre elles que par de menues particularités de graphie ; Marcarosa, Marcharosa et Marquarosa. Le vocabulaire topographique romain ne nous fournissant rien, il est tout indiqué que nous nous retournions vers le vocabilaire topographique anté-romain et que nous recherchions si les lagues, antérieures à la conquête romaine, qui ont survécu surtout dans les nims de lieux, ne nous offriraient pas quelques vocables, susceptibles de nous apporter une étymologie phonétiquement acceptable, et représentant un sens en rapport avec la nature ou avec les productions du terrain. Or, il se trouve précisément que nous rencontrons, dans le vocabilaire de l’époque anté-romaine, deux termes, dont le département de l’Hérault nous offre par ailleurs des exemples absolument sûrs, qui concordent parfaitement avec la nature physique, et avec les dénomionations topographiques d’origine moins lointaine, du terroir, formant aujourd’hui la commune de Saint-Jean-de-Védas, etqui, au point de vue phonétique ont pu aboutir au vocable de Marquerose de la façon la plus normale et la plus simple. Ces deux mots anté-romains sont – 1° le substantif mar, signifiant élévation, montagne, monticule ; - 2° le substantif car, signigiant pierre, et ayant formé l’adjectif caros, en latin carosus, pierreux. Le substantif mar, se trouve notamment dans les noms de deux montagnes de l’arrondissement de Saint-Pons : Marcoury et Marthomis, et dans le nom ancien d’un monticule situé entre Gignac et Aniane ; Maroiol, chef-lieu de la paroisse Saint-Sébastien de Maroiol, souvent citée dans le cartulaire de l’abbaye d’Aniane. Nous en avons un autre exemple, tout près de Montpellier, dans le nom de tènement les Marels, représentant le latin Maretos, Maretis, pluriel de Maretum, que porte encore aujourd’(hui une portion des collines (habitées certainement au moins dès l’époque romaine), séparant la vallée du Lez et la vallée de la Lironde de Verchamp, à main gauche de la route de Montpellier à Mauguio, entre les domaines de Costebelle et le vieux chemin de Castelnau à Montaubérou. Le substantif car, qui nous a fourni Saint-Martin de Carcarès, dans la commune de Gignac, a surtout survécu dans ses dérivés : cair, caïr, cayrol, cail, caillou, chail, chaillot, etc., dont les exemples sont nombreux dans l’hérault et ailleurs. L’adjectif carosus nous a donné, entre Lamalou et la montagne de l’Espinouse, le mont Carous et le vieux castrum de Caros. Le vocable topographique féminin, constitué par la juxtaposition du substantif mar et de l’adjectif caros, signifierait donc l’élévation pierreuse, la montagne pierreuse. La Mar carosa serait le synonyme du latin masculin Mons petrosus. Nous n’avons pas besoin de rappeler que des Montpeyroux, et d’autres noms de lieux, similaires au latin Montem petrosum, existent dans l’Hérault et dans divers autres départements. Le testament, daté de 988, du célèbre évêque de Lodève saint Fulcrand, mentionne un mas portant le nom de Montcairous : « mansum de Piro, quod vocant Monte cairoso ». Il existe encore actuellement un Mont Cayroux, dans l’arrondissement de Saint-Pons, près de Ferrals-les-Montagnes. Dans le terroir communal de Combaillaux, un tènement porte encore aujourd’hui le nom de Puech Cayraou. Dans le terroir communal de Montferrier, on trouve un lieu dit Picheyrou. Sur la ligne de délimitation des terroirs communaux de Saint-Gély-du-Fesc et des matelles, à gauche de la route de Montpellier à ganges, existent deux domaines juxtaposés, dénommés l’un et l’autre Roquet et Rouquet. Celui des deux qui est situé dans la commune de Saint-Gély-du-fesc, est mentionné au XVIe siècle, dans le compoix de la Val de Montferrand, sous le nom de Mas de Peyguareulz. L’étymologie, qui peut paraître incertaine au premier abord, est précisée avec certitude par le voisinage immédiat des anciens mas de Cayrol et de Cayrolet, aujourd’hui Rouquayrol et Galabert : Peguayreulz, c’est Pech Cayreulz. Cette étymologie ainri établie, nous n’avons plus d’hésitation possible sur l’origine du nom porté par les communes d Pégairolles-de-Buèges (dans le canton de Saint-Martin de Londres) et de Pégairolles-de-l’Escalette (dans le conton du Caylar), et par leurs similaires Pégairolles, Pégayrol et le puech-de-Queyrol, du département du Gard. Pégairolles, Péguayreulx, le Puech-de-Queyrol, Picheyrou, Puech Cayraou et Mont Cairous, où les substantifs latins podium et montem ont été associés au substantif anté-romain caïr, munis de différents suffixes, nous offrent, plus immédiatement encore que Mont peyroux, des synonymes de Mar carose. Ils ne contiennent, indépendamment de la latinisation des suffixes, que la traduction en latin de l’un des deux éléments du vocable anté-romain, tandis que Mont peyroux, aussi bien que don diminutif Pioch Peyrous, représente la traduction totale des deux éléments composant ce vocable primitif.
Cette qualification d’élévation pierreuse convient parfaitement à la chaîne de collines, aujourd’hui encore partiellement en nature de garrigues, qui s’étend entre le Rieucoulon, la Mosson, la route de Montpellier à Lavérune et l’ancien chemin de Montpellier à Villeneuve. Dans la toponymie de la commune de Saint-Jean-de-Védas, les noms de piochs ont été et sont encore abondants : le pioch Agut, le pioch Monteillet, le pioch Auriol, le Pioch long, etc. Le caractère pierreux de ces piochs et de ces garrigues se retrouve dans le nom du Peyrou de Saint-Jean-de-Védas et dans le nom d’un des principaux domaines du terroir : la Lauze, ainsi quelifié au moins depuis la fin du XIIIe siècle. On sait d’autre part que la commune de Saint-Jean-de-Védas, et spécialement le terroir ayant fait partie de l’ancienne paroisse de Béjargues et de l’ancienne juridiction du Terral, ont possédé – ppossèdent même encore aujourd’hui – des carrières de pierres importantes. Dès le XIIIe siècle, les documents citent, à côté du tènement du Peyrou et du mas de la Lauze, le tènement des Peyrières. Les temps plus modernes y ont ajouté d’autres lieux dits caractéristiques ; Peyrefioc, les Couteaux, les Clpas, etc. On voit que la dénmination de la Marquerose est largement justifiée par la géographie physique et qu’elle concorde parfairtement avec l’onomastique ambiante, que nous révèlent les documents du moyen âge.
Dans les deuxc études antérieures, d’une part, à propos de la Roque soi-disant, vulturière de Boutonnet ; d’autre part, à propos du Champ Agret de Montpellier, nous avons été amenés incidemment à mettre en lumière, en ce qui concerne les noms de lieux tirés de noms de végétaux, l’habitude que l’on a eue, au moyen âge et sans doute dès l’époque romaine, de juxtaposer des vocables, identiques foncièrement, distingués seulement par quelques particularités typiques. Nous avons montré que, pour désigner, soit deux parties d’un même tènement, soit deux tènements distincts, mais peu éloignés l’un de l’autre, plantés de la même essence, on employait systématiquement des noms identiques, différenciés seulement par les suffixes ou par une variante dans le traitement phonétique du radical. Dajà alors nous avions entrevu que cette loi de la défférenciation des synonymes topographiques juxtaposés s’appliquait, non seulement aux noms de lieux tirés de noms de végétaux, mais encore aux noms de lieux tirés de la nature du sol. Le terroir de Saint-Jean-de-Védas nous fournit un nom de lieu appartenant à cette seconde catégorie, dont la juxtaposition à un synonyme un peu différencié remonte certainement à la période anté-romaine. Il existaint encore au XVIIe siècle, dans le terroir de saint-Jean-de-Védas, le fait est constaté par le registre des reconnaissances, roturières ou féodales, rendues à l’évêque de Montpellier Charles de Pradel, un tènemenr dit lou Carras : « une pièce de terre olivette, scituée audit terroir et juridiction du Terrail, lieu dit montillet, autremant lou Carras ». Quel peut bien être le sens de ce nom de lieu, surnageant à traversle démenbrement du mas médiéval de Montillet ? La réponse est facile, et il n’y a pas plus d’hésitation à avoir, en ce qui concerne le radical, qu’en ce qui concerne le suffixe. Le suffixe, c’est l’évolution languedocienne normale du latin (pluriel) ares ou du latin (singulier) atium, que nous trouvons dans Clapas, dans Palhas, dans Agras, dans Arnas, dans Brugas, et dans Brouas, dans Arboras, dans Arboussas, dans Bouïssas, dans Bartas, dans Falgueras, dans Ginestas, dans Lécas, etc. Et le radical car, c’est visiblement le substantif anté-romain, que nous avons reconnu dans l’adjectif caros, en latin carosus ou carosa,second élément du vocable jusqu’ici mystérieux de la Marquerose. L’existence du lieu dit Lou Carras confirme l’étymologie que nous avons proposée pour la Marquerose. En mpeme temps elle apporte un élément nouveau et très intéressant, en raison de sa date reculée – à l’étude des juxtapositions de synonymes différenciés, - en ce qui concerne les noms de lieux tirés de la nature du sol.
On peut dire que les vocanles topographiques de cette dernière catégorie constituent, dans le terroir de Saint-jean-de-Védas, un ensemble réellement curieux. D’une part, l’élévation du sol y formait la Mar carosa, à côté du domaine disparu de Monteillet, non loin de la villa carolingienne, disparue, et de l’église romane, encore existante de Montels, dans la partie du terroir de Montpellier longée par le Rieucoulon. D’autre part, la nature pierreuse du terroir nous apporte, pour l’époque anté-romaine : La Marquerose et Lou Carras, et pou el moyen âge (peut-être aussi pou la période romaine) : le Peyrou, les Peyrières et la Lauze. Ce groupe de noms de lieux, tirés de la nature du sol, se trouve ainsi faire pendant, dans des conditions très caractéristiques, à quelques kilomètres seulement de distance, au groupe de noms de lieux tirés de végétaux, que nous rencontrons dans le terroir de Montpellier : entre le grand chemin romieu et l’antique voie domitienne : Montpellier, Lavanet et Boutonnet ; au sud du chemin romieu : Chaulet, Saint-Pierre-de-Prunet, Montpelliéret, Salicates et Sauret.
Montpellier, décembre 1917.