Charles Joachim Colbert de Croissy
Biographie selon Fisquet
Deuxième fils de Charles Colbert, marquis de Croissy, trésorier des ordres du roi et ministre d'État, et de Françoise Béraud, neveu du grand Colbert, Charles-Joachim Colbert naquit à Paris le 16 juin 1667, et son acte de baptême est conçu dans les termes suivants sur les registres de l'église paroissiale de Saint-Eustache de cette ville :
« Le jeudy seizième juin 1667 fut baptisé Charles-Joachim, fils de Mre Charles Colbert, conseiller du roy en tous ses conseils et Maître des requêtes, et de dame Françoise Beraud, sa femme, demeurant rue Neufve des Petits Champs. Le parrain, Messire Joachim Beraud, conseiller du roy en tous ses conseils et grand-audiencier de France ; la marraine, dame Marie Colbert, femme de Messire Jean Desmarais, aussy conseiller du roy en tous ses conseils, trésorier de France, à Soissons. »
Charles-Joachim Colbert, destiné dès son enfance à la carrière ecclésiastique, fit ses études au collège de la Marche et entra ensuite en théologie. Les talents qu'il annonçait et la sagesse de sa conduite lui firent des amis de Renaudot, Hermant et Mabillon, qui se plaisaient à reconnaître et à encourager ses heureuses dispositions. Il s'engagea dans les ordres sacrés par le sous-diaconat, le 18 décembre 1688, à Paris, et se préparait à sa licence, lorsque le pape Innocent XI mourut, le 12 août 1689. Cet événement lui fournit l'occasion de voir Rome où il accompagna le cardinal Guillaume Egon, prince de Furstemberg, abbé de Saint-Germain des Prés qui se rendait au conclave. A son retour, il fut enlevé par un détachement d'Espagnols et retenu prisonnier dans le château de Milan. Le jeune abbé adoucit les ennuis de sa captivité par l'étude et s'appliqua particulièrement à apprendre la langue espagnole. Après un an de détention, il recouvra sa liberté et revint à Paris où, après avoir été promu au diaconat, le 10 mars 1691, et nommé au mois d'octobre suivant agent général du clergé, il fut élevé à la prêtrise le 22 décembre de la même année. Prenant ses degrés en Sorbonne il reçut le bonnet de docteur, le 21 mars 1692. Déjà à cette époque et dès le mois de mai 1684, il avait obtenu en commende l'abbaye de Froidmont au diocèse de Beauvais. Son cousin-germain, Jacques-Nicolas Colbert, ayant été nommé, en 1691, à l'évêché de-Rouen, le fit, le 12 mars 1692, vicaire général de Pontoise, et après avoir pris possession de cette charge, le 28 du môme mois, Charles-Joachim donna l'exemple de toutes les vertus pastorales.
Le 1er novembre 1696, le roi l'appela à remplacer Charles de Pradel sur le siège épiscopal de Montpellier ; et sa nomination ayant été approuvée par le souverain Pontife, dans les consistoires des 17 novembre 1696 et 14 janvier 1697, il fut sacré à Paris le 10 mars suivant par l'archevêque de Rouen, son parent, assisté de André Colbert, évêque d'Auxerre, et de François Chevalier de Saulx, 1er évêque d'Alais. La cérémonie de son sacre eut lieu dans l'église des Feuillants de la rue Saint-Honoré. Après avoir prêté serment de fidélité au roi le 19 du même mois, dans la chapelle du château de Marly, il partit aussitôt pour son diocèse et arriva à Montpellier le 21 mai 1697. Le lendemain, il fut reçu par le chapitre et installé. Le 17 août 1700, il présenta au roi les cahiers de la province, et Clément XI lui adressa, le 19 avril 1701, un bref des plus honorables.
Rempli de zèle pour l'instruction de ses diocésains, il engagea le P. Pouget, de l'Oratoire, qui avait été ordonné prêtre le même jour que lui, à composer un grand catéchisme pour expliquer, par l'Écriture sainte, par la tradition et par l'histoire de l'Église, les dogmes de la foi, la morale chrétienne, les sacrements, les prières, les cérémonies et les usages de l'Église. Ce célèbre et solide ouvrage, connu sous le nom de Catéchisme de Montpellier, parut pour la première fois, en 1702, fut adopté dans toute la France et a obtenu de nombreuses éditions et traductions dans toutes les langues. Il peut tenir lieu d'une théologie entière, mais quoique bon à certains égards, on y remarque plusieurs propositions évidemment mauvaises et quelques autres suspectes, qui favorisèrent les erreurs de Jansénius. Aussi fut-il condamné par un décret de Clément XI, du 1er février 1712. Le Saint-Siège le condamna de nouveau par décret du 21 janvier 1721.
Vers cette même époque, en 1701, Colbert donna tous ses soins à la construction de l'église de Saint-Denys, qu'il érigea en paroisse ; il en fit faire la bénédiction solennelle le 30 octobre 1707. Par une ordonnance du 19 novembre suivant, M. Colbert désigna les faubourgs qui devaient dépendre de cette nouvelle paroisse, et en même temps, rendit définitif ce qui avait été statué provisoirement à l'égard du lieu de Boutonnet, en décrétant que ce faubourg et les habitations champêtres qui en dépendaient, depuis la porte du Pila-Saint-Gély inclusivement jusqu'au faubourg de Saint-Jaume exclusivement, seraient de la paroisse de Saint-Pierre. Dans le mois précédent, il avait consacré lui-même l'église des Carmes-Déchaussés, et dans le mois de juin avait posé la première pierre de celle des Jésuites.
De nouvelles contestations sur le jansénisme étaient venues dans ce temps-là occuper le clergé de France. Pour ôter toute occasion de rappeler les erreurs proscrites par l'Église, Clément XI, qui occupait alors la chaire de Saint-Pierre, publia, après plusieurs brefs, le 16 juillet 1705, la bulle Vineam Domini Sabaoth, par laquelle il prononça en termes exprès, que par le silence respectueux, ce n'était pas renoncer à l'erreur, mais la cacher ; ce n'était pas obéir à l'Église, c'était s'en moquer. Cette bulle fut envoyée par Louis XIV aux évêques de France. M. Colbert, à l'exemple des autres prélats, l'accepta avec soumission, et déclara, par un Mandement, qu'il donna le 5 mars 1706, que l'on ne satisfaisait point par le silence respectueux à l'obéissance due aux constitutions des souverains Pontifes Innocent X et Alexandre VII, qu'il fallait s'y soumettre intérieurement, rejeter non-seulement de bouche, mais même de cœur, et regarder comme hérétique le sens du livre de Jansénius condamné dans, les cinq propositions. Le respect que l'évêque de Montpellier montra pour les décisions du souverain Pontife, s'affaiblit lorsqu'il vit paraître la constitution en forme de bulle donnée par Clément XI, le 8 septembre 1713, commençant par -le mot Unigenitus, et portant condamnation de cent une propositions trouvées dans les Réflexions morales du P. Quesnel. Tous les évêques ne reçurent pas cette bulle : quelques-uns s'y opposèrent et en appelèrent à un futur concile. Colbert fut de ce nombre. Le 29 avril 1717, il envoya à son chapitre l'acte d'appel interjeté le 5 mars précédent par lui et par MM. de Soanen, évêque de Senez, de la Broue, évêque de Mirepoix, et Pierre de Langle, évêque de Boulogne. Le chapitre donna acte, par sa délibération, de la lecture qu'il en avait faite, mais en déclarant expressément qu'il n'adhérait point à cet appel, ce qui lui valut des félicitations de la part du cardinal de Rohan-Soubise, grand-aumônier de France.
M. Colbert afficha dès lors une opposition ardente et inflexible qui a rendu son nom cher aux appelants. On le vit, pendant vingt-cinq ans, accumuler des écrits tous plus vifs les uns que les autres : Mandements, Lettres au pape, au roi, aux évêques, opuscules de toutes les formes, il paraît qu'il était dominé entièrement par deux ou trois jansénistes. On lui avait donné pour théologien, en 1724, un certain Jean-Baptiste Gaultier, et on croit que plusieurs des écrits, publiés sous le nom de l'évêque, étaient de cet ecclésiastique. Colbert avait encore auprès de lui un autre prêtre, appelé Groz, dont les Nouvelles ecclésiastiques font un pompeux éloge. La môme gazette nous apprend que Colbert avait pour agent, à Paris, Léonard Dilhe, de Montpellier, mort le 10 juin 1769, qui ne s'était laissé ordonner prêtre qu'à condition de ne dire jamais la messe. Avec de tels conseillers, l'évêque de Montpellier ne garda plus de mesure, et fatigua toutes les autorités de ses écrits.
La chose alla si loin, qu'un arrêt du conseil du roi, du 24 septembre 1724, ordonna la saisie des revenus de son évêché, et déclara ses autres bénéfices vacants et impétrables. L'assemblée du clergé de France de 1725, demanda pour le juger la tenue d'un concile à Narbonne, et elle l'aurait sans doute obtenue, sans les sollicitations d'une famille fort accréditée. Cette année même, l'évêque avait écrit deux lettres violentes contre le décret qu'il avait pris en aversion. En 1729, il adressa à Louis XV, une lettre remplie d'invectives contre les évêques de France, qu'il peignit comme de mauvais citoyens, parce qu'ils étaient soumis aux jugements de l'Église. C'est cette lettre qui est si vigoureusement réfutée au tome VIIe des Actes du clergé. « Nous souffrons, disent les évêques, en s'adressant au roi, nous souffrons depuis longtemps avec la plus vive douleur, tout ce que la licence et la mauvaise foi ont jusqu'ici fait entreprendre aux ennemis de la constitution Unigenitus, pour anéantir, s'il était possible, ce jugement de l'Église. Nous attendions que le temps et la réflexion pussent ramener ces esprits inquiets. Aux artifices, aux calomnies, aux invectives qu'ils n'ont cessé de mettre en œuvre contre nous, nous n'avons opposé qu'une modération dont nous n'éprouvons que trop l'inutilité et le préjudice. Mais pourrons-nous, Sire, ne pas nous élever contre une lettre téméraire et séditieuse, écrite à Votre Majesté par M. de Montpellier, dans laquelle il s'efforce de décrier ses adversaires et de les rendre suspects au roi ; dans laquelle il prend, des auteurs protestants, les faits et les expressions les plus odieuses pour détruire, dans l'esprit des peuples, le respect qu'ils doivent au chef de l'Église, et dans laquelle enfin, il établit des principes capables de ruiner tous les fondements de notre foi. »
Après avoir écrit contre les évêques, Colbert attaqua le Pape et publia, contre Clément XII, une Lettre pastorale, datée du 21 avril 1734. Il y répand son fiel sur le Pape et sur ses brefs. Le titre seul de ce factum en est une preuve. C'est, dit-il, pour prémunir les fidèles de son diocèse, contre un bref de N. S. P. le Pape. Et il ose appliquer à ce bref même, la plupart des qualifications dont le Pape a chargé son Instruction pastorale du 1er février 1733, au sujet des miracles jansénistes. Il dit que c'est le bref du Pape qui doit être argué de faux ; que c'est le bref qui a scandalisé, que c'est le bref qui est téméraire, parce qu'il nie des faits aussi évidents que le soleil. Ensuite, adressant la parole au Pape môme, il lui reprocha son aveuglement en ces termes : Quoi ! vous ne voyez pas les miracles, et vous voyez des hérésies notoires dans notre Instruction ! On ne dira pas de vous : Heureux les yeux qui ont vu ce que vous voyez ! mais il est à craindre qu'on ne dise : Vous regarderez de vos yeux et vous ne verrez point. Il n'épargne pas davantage l'Église de Rome et ses coutumes, en attaquant les dispenses que donne le Pape. Combien obtient-on tous les jours de dispenses d'abstinence, de vœux simples, d'empêchements dirimants du mariage, sur des prétextes frivoles ou même, sans alléguer aucune cause, pourvu qu'on satisfasse à la taxe. Quant aux décisions de l'Église universelle, voici comment il les traite à la page 54 : La bulle Unigenitus est, selon lui, un funeste décret qui anathématise les vérités saintes. En un mot, ce qui forme le tissu de toute cette lettre, ce sont non-seulement les plus horribles déclamations contre le vicaire de Jésus-Christ et contre le Saint-Siège, mais encore les contradictions les plus palpables, les plus monstrueuses hérésies, les absurdités les plus grossières, les principes de morale les plus pervers, le figurisme et le fanatisme le plus outré.
Quoique les chanoines de Saint-Pierre eussent manifesté des opinions tout à fait contraires à celles de Colbert, dans les affaires du jansénisme, ils ne cessèrent pas pour cela de vivre en bonne intelligence avec lui. Aussi ce prélat assistait-il fréquemment à leurs délibérations, et ce qui ne laisse aucun doute sur l'harmonie des rapports qui régnaient entre eux, c'est que les chanoines, devant employer en réparations ou en ornements pour leur église, quelques fonds provenus des droits de réception, nommèrent, le 28 avril 1727, une commission qui ne pouvait agir qu'après s'être concertée avec l'évêque. Cette bonne intelligence fut toutefois interrompue au sujet de la bénédiction de la grande cloche de la cathédrale, que révoqué devait faire le 10 février 1735. Ce jour-là, le chapitre se rendit processionnellement dans la cour de l'évêché : il députa le chanoine sous-chantre pour aller chercher M. Colbert et l'accompagner jusqu'à l'endroit où devait avoir lieu la bénédiction. Il apprit, au retour de son député, que l'évêque exigeait que le chapitre vînt en corps l'accompagner. Cette prétention étonna d'autant plus les chanoines, qu'elle était contraire à l'usage observé jusqu'alors, d'après lequel on n'allait en corps chercher l'évêque que les jours de grandes solennités lorsqu'il officiait pontificalement, que, hors ces jours, quand il s'agissait de simples bénédictions, comme celles des cierges, des rameaux, des drapeaux, etc., ou lorsque l'on chantait un Te Deum, le sous-chantre seul accompagnait l'évêque ; mais ayant considéré que tout était disposé pour la cérémonie, qu'il y avait un grand concours de fidèles assemblés pour y assister, et qu'on donnerait du scandale si l'on se retirait sans procéder à la bénédiction de la cloche, le chapitre délibéra d'aller en corps, chercher l'évêque pour cette fois seulement, et sans que cette démarche pût tirer à conséquence pour l'avenir, ni donner aucun droit au prélat. Le sous-chantre fut de nouveau député à M. Colbert pour lui faire part de cette délibération, mais ce prélat ne voulut pas entendre parler de protestations et ne voulut pas non plus permettre que le chanoine de semaine fît la bénédiction de la cloche, ni consentir à la faire lui-même en l'absence du chapitre. Cette obstination décida le chapitre à se retirer ; mais avant d'exécuter sa résolution, il en informa l'évêque qui consentit enfin à recevoir des protestations. Dès lors, le corps des chanoines se rendit chez l'évêque ; ils descendirent ensemble dans la cour de l'évêché, où la bénédiction de la cloche eut lieu. Le chapitre consigna tous ces faits dans ses registres, et le lendemain, il fit signifier à l'évêque, par un huissier, les délibérations qu'il avait prises contenant ses protestations. M. Colbert ne paraît pas avoir renouvelé ce conflit, lorsque, le 22 décembre de cette même année 1735, il consacra le grand autel de la cathédrale.
Las de s'agiter et d'agiter l'Église, en faveur d'une secte inquiète et tracassière, Colbert de Croissy, parvenu à la 42e année de son épiscopat, mourut à Montpellier le mardi, 8 avril 1738, d'une inflammation au bas-ventre, après sept ou huit jours de maladie. Comme son prédécesseur immédiat, Charles de Pradel, il voulut être inhumé dans l'église de l'hôpital général, et, comme lui, il institua pour ses héritiers les pauvres de cette maison, défendant expressément qu'on lui consacrât aucune épitaphe, et voulant seulement qu'on gravât sur son tombeau son nom, les années de son épiscopat et le jour de sa mort. Il ne donna, avant de mourir, aucune marque de résipiscence et de retour à l'obéissance qu'il devait à l'Église, et qu'il lui avait si longtemps et si scandaleusement refusée. L'évêque de Montpellier était, nous l'avons dit, abbé de Froidmont et prieur de Longueville ; l'austérité de ses principes n'allait pas apparemment jusqu'à lui interdire la pluralité des bénéfices. Un appelant disait de lui, dans un écrit publié en 1727 : M. de Montpellier est d'un caractère à ne reculer sur rien. La fermeté dégénère en entêtement quand on a pris un mauvais parti. Le prélat sacrifiera l'intérêt de la vérité, le bien de l'Eglise, sa propre gloire plutôt que de revenir sur ses premières démarches. Il paraît que cette opiniâtreté formait le caractère du prélat. Il est bon de prévenir au surplus que, dans les écrits de ses partisans, il est désigné souvent sous le nom de Grand Colbert, aussi bien que le célèbre ministre, son oncle: exagération ridicule, quand elle s'applique à un évoque qui, très-probablement, ne fit qu'adopter la plupart des écrits publiés sous son nom.
Colbert de Croissy possédait une des plus riches et des plus nombreuses bibliothèques de France ; car, outre les livres de Plantavit de la Pause, évêque de Lodève, qu'il avait acquis au commencement de son épiscopat, avec ceux de François de Bosquet, l'un de ses prédécesseurs à Montpellier ; il les avait augmentés du double en y ajoutant tout ce qui avait paru des meilleurs auteurs en Europe, pendant les quarante-deux années de son épiscopat. Cette bibliothèque fut mise en vente à Toulouse, le 25 août 1741, en même temps que celle de M. de la Berchère, archevêque de Narbonne, et le catalogue en a été imprimé, 1740,in-8°.
Les ouvrages publiés sous le nom de Colbert ont été recueillis, en 1740, 3 vol in-4°. Le Catéchisme rédigé sous ses yeux, par le P. Pouget, et la plupart de ses Instructions pastorales ont été condamnées à Rome, et quelques-unes de ces dernières, par l'autorité séculière. La liste de ses écrits serait longue et fastidieuse, nous parlerons seulement de quelques-uns, qui nous donneront une idée du reste.
1° MANDEMENT de M. l'Évêque de Montpellier au sujet de l'appel interjeté par lui et ses adhérents au futur concile général. II est daté du 20 mars 1717, et le prélat y joignit l'Acte d'appel, qui lui était commun avec les évêques de Mirepoix, de Senez et de Boulogne. Cet acte et ce mandement ne sont qu'une énumération odieuse de différents chefs d'accusation contre la bulle Unigenitus. Il n'appartient qu'à l'hérésie de supposer que le Pape, avec la très-grande pluralité des évêques, peut enseigner des erreurs capitales et les proposer à la foi des fidèles. Que deviendraient les promesses de Jésus-Christ à son Église ? Colbert, aux pages 26 et 27 de ce mandement, s'offre pour chef à tous ceux qui voudront appeler, c'est-à-dire, qui voudront se révolter contre une loi de l'Église et de l'État. Comme Luther, il se ménage une ressource pour éluder les décisions du concile en exigeant des conditions équivoques pour la validité du jugement. « Nous appelons, dit-il, au futur concile général qui sera assemblé légitimement et en lieu sûr, où nous et nos députés puissent aller librement et avec sûreté, et à celui ou à ceux, auquel ou auxquels il appartient de juger de cette sorte de cause. C'est de conditions toutes semblables que Luther accompagna son appel.
2° MEMOIRE qui accompagnait le Mandement de M. de Montpellier, pour la publication de son Acte d'appel du 29 avril 1717, dans lequel on fait voir la nécessité d'un concile général pour remédier aux maux de l'Église, et où l'on déduit les motifs de l'Appel interjeté au futur concile de la Constitution, etc. Tout est à relever dans ce mémoire, dont nous ne citons qu'un seul trait qui en est le précis entier. « Continuera-t-on, dit Colbert, à vouloir que nous condamnions des propositions orthodoxes, sous prétexte d'abus insensés qui n'ont point de partisans, tandis que leur censure favorise des erreurs subsistantes qu'un formidable parti veut ériger en dogme de foi ? (page 223.) C'est, on le voit, une accusation directe contre la bulle.
3° REPONSE à l'Instruction pastorale de M. le cardinal de Bissy, au sujet de la bulle Unigenitus, du mois de février 1717. Depuis la page 213 jusqu'à la page 223, on fait un détail d'excès monstrueux que l'on assure être les suites nécessaires de la doctrine du cardinal, qui était cependant une des principales colonnes de l'Église de France. Cette doctrine était précisément celle du concile de Trente sur la force de la grâce.
4. REMONTRANCES au roi au sujet de l'arrêt du conseil d'État du 11 mars 1723, publiées en 1724. Cet écrit fut condamné, par un arrêt du conseil du mois de septembre 1724, à être lacéré. Il a pour but de justifier la prétendue nécessité de la distinction du fait et du droit dans la condamnation du livre de Jansénius, quoique cette distinction ait été réprouvée par la bulle d'Alexandre VII et par celle de Clément XI, Vineam Domini Sabaoth.
5° LETTRE circulaire aux Évêques de France, du 2 mai 1725, au sujet de la demande d'un concile proposé dans l'assemblée provinciale de Narbonne, pour juger M. de Montpellier. On peut remarquer, dans la page 4, deux erreurs capitales, 1° Colbert attribue à l'Église de soumettre les fidèles (par le formulaire) à une croyance qu'elle n'a pas le droit d'exiger, et par conséquent d'exercer sur ses enfants un pouvoir tyrannique ; 2° il dispense les fidèles de la soumission, à moins qu'il ne soit prouvé que les évêques ont lu les livres que l'Église condamne, et qu'en même temps ils ne déclarent y avoir reconnu les erreurs qu'elle réprouve, fausse maxime qui annullerait toutes les décisions et ouvrirait la porte à toutes les hérésies.
6° LETTRE circulaire à plusieurs évêques, à l'occasion des projets d'accommodement, où l'on s'était flatté que Rome allait entrer vers les mois d'avril et de mai 1725. Cette lettre est datée du 20 juin 1725. Tenons-nous-en à notre appel, y dit le prélat à la page 5, c'est la seule voie qui puisse nous mettre à couvert devant Dieu et devant les hommes. C'est ainsi que Colbert continue et qu'il continuera pendant toute sa vie à s'obstiner à s'appuyer sur un appel schismatique et illusoire censuré par l'Église, déclaré de nul effet par le souverain, et par conséquent criminel devant Dieu et devant les hommes.
7° LETTRE pastorale du 20 octobre 1725, au sujet du miracle de l'hémorroïsse, arrivé à Paris le 31 mai 1725, en la paroisse Sainte-Marguerite. Cette lettre fut supprimée par arrêt du parlement de Paris du 15 avril 1726. Les paroles de cet arrêt sont fort remarquables : Sous prétexte de célébrer le miracle que le bras tout-puissant de Dieu vient d'opérer sous nos yeux, on entreprend de pénétrer dans les secrets impénétrables de la Providence ; on ne se contente pas de l'employer contre les excès les plus énormes, condamnables par eux-mêmes, on s'en fait un argument de parti et une vaine idée de triomphe.
8° LETTRE pastorale du 1er décembre 1725, au sujet de la protestation de M. de Montpellier contre ce qui s'était passé par rapport à lui dans l'assemblée du clergé. Elle fut supprimée par arrêt du parlement de Paris du 15 avril 1726, dont voici les termes : On oublie ce que l'autorité royale a fait de plus solennel, soit au sujet du formulaire, soit sur la Constitution Unigenitus. On s'élève contre la Constitution, et il semble qu'on se fasse un devoir de la combattre. On applaudit dans cette vue, jusqu'aux écrits les plus outrés, qui sont moins une apologie du scandale qu'a causé la fuite de quelques religieux sortis du royaume, qu'une déclamation contre la Constitution Unigenitus.
9° INSTRUCTION pastorale adressée au clergé et aux fidèles de son diocèse, à l'occasion d'un écrit répandu dans le public sous le titre de : Mandement de M. l'évêque de Saintes, donné à Paris, le 26 novembre 1725. Celte instruction est du 19 mai 1726. L'auteur y prend contre M. de Beaumont, évêque de Saintes, la défense de douze articles que le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, avait proposés au pape Benoît XII pour en être approuvés.
10° ORDONNANCE et instruction pastorale... du 17 septembre 1726, portant condamnation du livre intitulé : Institutions catholicœ. Ce livre, condamné par Colbert, est le catéchisme qu'il avait lui-même publié et qu'on avait depuis traduit en latin, avec quelques corrections.
11° LETTRES à M. de Soissons. La première est du 6 novembre 1726, la seconde, du 8 décembre, la troisième, du 5 janvier 1727 à l'occasion du miracle opéré à Paris, dans la paroisse Sainte-Marguerite, la 4e du 5 mars 1727, la 5e en 1728, 42 pages in-4°. Comme tous les ouvrages de Colbert, ces lettres ne respirent que le jansénisme. Il en veut surtout au formulaire, quoiqu'il l'eût signé plusieurs fois. Il dit (dans sa 4e lettre, page 23) qu'il l'a signé sans savoir ce qu'il faisait. Il pouvait, avec plus de justice, en dire autant de tous les écrits qui ont paru sous son nom.
12° REPONSE à M. l’évêque de Chartres, datée du 17 juil let 1727. On y trouve, pages 13 et 14 une déclamation visible ment dictée par l'esprit du mensonge, et il n'y a guère que Colbert ou celui qui tient sa plume, qui ait été capable d'entasser en si peu de lignes, tant d'erreurs et de calomnies.
13° LETTRE pastorale du 31 décembre 1727 contre un Mandement de M. de Carcassonne. L'Église romaine, est suivant Colbert, une Babylone où il n'y a plus que confusion et qu'erreur. Un ministre de Genève se reconnaîtrait dans ce discours séditieux et fanatique.
14° INSTRUCTION pastorale au sujet du jugement rendu a Embrun contre M. l'évêque de Senez du 25 janvier 1728. L'esprit de parti n'inspira jamais de plus violent enthousiasme que celui dont paraît saisi l'auteur de cette Instruction. Il y renverse toutes les règles de supériorité constituant la hiérarchie ecclésiastique, anéantit la juridiction des conciles provinciaux sur les évêques de leur province. Il excite ses diocésains à la révolte contre tout ce que pourraient statuer ceux qui ont une autorité supérieure à la sienne. Il compare sa cause à celle de saint Athanase, et la doctrine enseignée par le corps pastoral dans la bulle Unigenitus, il la compare à l'hérésie arienne.
15° LETTRE au roi. Du 19 juin 1728. L'objet de cette lettre est de décréditer le concile d'Embrun, et d'anéantir, s'il se peut, la bulle Unigenitus. On n'a guère vu de libelle où l'emportement et la fureur règnent davantage, et où les expressions soient moins mesurées que dans celui-ci.
16° LETTRE pastorale au clergé et aux fidèles de son diocèse au sujet d'un écrit répandu dans le public sous le titre d'Instruction pastorale de M. l'évêque de Marseille, et condamnation d'un livre intitulé : Morale chrétienne, rapportée aux instructions que Jésus-Christ nous a données dans l'Oraison dominicale, etc., du 30 décembre 1728. L'auteur, dans cet écrit, parle avec si peu de précision et use de tant d'expressions équivoques, qu'il donne un juste motif de le soupçonner d'avoir voulu insinuer que tout acte qui n'est pas amour de Dieu est péché, ou du moins, qu'il n'y a point d'autre acte surnaturel et chrétien que cet amour, ni d'autre grâce actuelle que celle qui nous excite à le former.
17° LETTRE pastorale au sujet d'un écrit répandu dans le public, sous le titre de Codicile ou supplément au testament spirituel de M. l'ancien évêque d'Apt, etc., du 15 juin 1729. Il y déclare affirmativement que Jésus-Christ condamne la bulle, il annonce des miracles faits et à faire en preuve de cette condamnation.
18° INSTRUCTION pastorale au sujet des miracles que Dieu fait en faveur des appelants à la bulle Unigenitus. Datée du 1er février 1733, in-4° de 50 pages. C'est peut-être, a-t-on dit, le plus fanatique des ouvrages écrits ou adoptés par M. Colbert. Tout y est marqué au coin de l'erreur et de la violence. Il fut condamné par le Pape, le 1er octobre 1733, avec les plus fortes qualifications et par un arrêt du conseil du 25 avril de la même année.
19° LETTRE au roi, datée du 26 juillet 1733. Le prélat tend à justifier, aux dépens de là bulle, son instruction pastorale précédente et à autoriser les miracles du diacre Paris.
20° LETTRE pastorale... pour prémunir son diocèse contre un bref de N. S. P. le Pape du 21 avril 1734. Nous en avons parlé ci-dessus.
21° INSTRUCTION pastorale datée de 1737. Le figurisme partageait alors la secte des jansénistes. L'auteur de celte instruction, qui en est le zélé partisan, insinue clairement et établit une défection considérable de toute l'Église qui doit arriver avant la fin du monde. C'est un système fanatique et monstrueux, mais il leur était nécessaire pour soutenir leur parti.
22° LETTRE à M. l'évêque de Babylone et à M. le Gros avec la réponse.
23° LETTRE à N. S. P. le pape Clément XII, 1734.
24° RECUEIL DES LETTRES de messire Charles-Joachim Colbert, évêque de Montpellier, Cologne, 1740, in-4°, 930 pages sans compter l'avertissement qui est de six pages. — Autre édition des mêmes lettres en quatre vol. in-12, publiée sur la fin de 1741 ou au commencement de 1742.
Il ne serait pas surprenant qu'après la mort de Colbert, on eût fait paraître sous son nom des écrits qui n'étaient pas de lui, puisque, même de son vivant, la chose était ordinaire, et que souvent le prélat ignorait pendant plusieurs jours les mandements et les instructions que l'on publiait à Paris, décorés de son nom et de ses armes. Mais quoi qu'il en soit de ces lettres, il faut convenir qu'elles sont dignes de lui, c'est-à-dire, d'un homme dont l'emportement contre la constitution et les constitutionnaires n'avait ni bornes, ni mesure.
Nous ne relèverons ici que l'imposture des éditeurs qui ont adopté de prétendues lettres du cardinal Jean-Antoine Davia à Colbert, et ensuite de prétendues réponses de Colbert à ce cardinal, et qui ont eu l'audace de faire imprimer les unes et les autres dans le Recueil ci-dessus, en citant les Nouvelles ecclésiastiques du 20 février 1740, d'où ils ont extrait ces fausses pièces, pour les servir une seconde fois au public. C'est à la page 895 et suivantes qu'on les trouve. Le cardinal Davia y est supposé vouloir détruire, anéantir les Jésuites. Le faussaire, qui n'était autre que le gazetier ecclésiastique, pour rendre plausible ce mensonge, avait imité le style d'un étranger qui parle mal le français, et sous cette enveloppe, il avait cru débiter impunément les noirs sentiments de son cœur. Dès que la feuille où sont ces lettres imaginaires eut paru à Rome, elle fut condamnée au feu par un décret du 15 avril 1740, comme étant un écrit détestable qui contient des relations fausses et calomnieuses, tendant à séduire les simples et à ternir la réputation d'une personne-constituée dans une éminente dignité ; comme si cette personne avait été eh liaison d'amitié et en société d'erreur avec des: hommes réfractaires.
Près de deux ans après, le faussaire lui-même fut obligé d'avouer, dans sa feuille du 4 février 1742, que les lettres à M. de Montpellier, qui portent le nom du cardinal Davia, ne sont pas de lui. C'est ainsi qu'en 1749, un autre janséniste, Jean-Baptiste Desessarts, plus connu sous le nom de Poncet, auteur des Observations sur le bref de Benoît XIV au grand inquisiteur d'Espagne, y a ajouté une prétendue lettre du P. jésuite Daubenton au P. Croizet, qu'il a enrichie de notes. Cette fausse lettre avait déjà été publiée en 1714, les jansénistes la ressuscitèrent en-' 1726 ; enfin, en 1749, ils lui firent voir le jour une troisième fois, sans se rappeler les écrits publics par lesquels on avait confondu leur imposture. On peut juger par ces traits combien la calomnie est un fonds inépuisable pour les hérétiques. Mais quels hommes-que ceux qui, de sang-froid, fabriquaient ainsi, dans leur cabinet, des lettres du cardinal Davia, des lettres du P. Daubenton et qui, ensuite, en inondaient le public, en s'écriant d'un ton hypocrite qu'ils ne cherchaient que la vérité et la charité !
Jean-Baptiste Gaultier a publié : Abrégé de la Vie et idée des ouvrages de M. Colbert, évêque de Montpellier, avec le recueil de ses lettres, Cologne (Utrecht) 1740, in-4°. C'est le même ouvrage que nous avons cité plus haut.
Colbert de Croissy portait pour armoiries : d'or, à la couleuvre d'azur tortillée en pal.