Guillaume Pellicier

De Marquerose
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Biographie de Fliche

Ce prélat, l'un des plus célèbres qui aient gouverné le diocèse de Montpellier, naquit près de cette ville, dans le bourg de Mauguio, vers 1490. Doué des plus heureuses dispositions, il fit de bonnes études dans l'Université de Montpellier, et parcourut ensuite la France et l'Italie pour perfectionner les connaissances qu'il y avait acquises. A son retour, son oncle, Guillaume Pellicier, le pourvut d'un canonicat dans son Église de Maguelone, puis le nomma doyen de l'église collégiale de la Trinité, et lorsque son grand âge le porta, en 1527, à se démettre de son évêché, il le résigna aux mains de son neveu, bien qu'il ne fut pas encore dans les ordres sacrés. Plein de respect pour son bienfaiteur, le nouvel évêque ne voulut être que le coadjuteur de son vénérable parent, à qui il laissa jusqu'à sa mort, arrivée en 1529, l'entier exercice de l'autorité épiscopale. On marque pour la première fonction de son épiscopat la translation qu'il fit, avec le vice-légat d'Avignon, des religieuses de Sainte-Claire dans le couvent de la Petite-Observance, situé au faubourg de la Saunerie, à Montpellier. Déjà, à cette époque, Guillaume s'était fait connaître par son érudition en théologie et en droit, qui lui a mérité Thonneur d'être cité par Cujas lui-même, comme l'un des hommes les plus habiles à résoudre les difficultés des lois. François Ier, le père des lettres, connut Pellicier et apprécia promptement son mérite. Il lui confia les missions les plus importantes, le fit entrer au conseil d'État, et plus lard récompensa ses services en le nommant, en 1547, abbé de Lérins. La première ambassade de Pellicier fut à Cambrai, où il accompagna Louise de Savoie qui allait, au nom du roi, son fils, traiter de la paix avec Charles-Quint, alors représenté par Marguerite d'Autriche, sa tante, gouvernante des Pays-Bas. Elle fut conclue le 5 août 1529, et, peu de mois après, Guillaume devenait titulaire du siège de Maguelone. II recevait des habitants de Saint-Georges d'Orques, à titre d'hommage, suivant la coutume, une somme de six livres tournois.

François Ier, parcourant le Languedoc, arriva à Montpellier au mois d'août 1533. Il écoula les prières que les habitants, avec Guillaume Pellicier et les chanoines, lui firent, de s'intéresser à la translation du siège épiscopal à Montpellier. Après avoir visité l'île de Maguelone, ce prince approuva les motifs de leur demande, et promit de l'appuyer auprès du Pape. Sur ces entrefaites, Pellicier reçut du roi Tordre de l'accompagner à Marseille pour régler, avec Clément VII, les conditions du mariage du duc d'Orléans, second fils de François Ier, avec Catherine de Médicis, nièce du souverain Pontife. Cette ambassade lui pro-cura les moyens de commencer ses sollicitations en Cour romaine. Peu après, il se rendit à Rome, et y fit de nouvelles-démarches auprès du pape Paul III, successeur de Clément VII, pour obtenir la bulle si désirée. .De son côté, François Ier agit auprès du nouveau souverain Pontife et lui fit connaître, tant par écrit que par l'organe de Charles Hémart de Denonville, évêque de Mâcon, son ambassadeur à Rome, les motifs qui devaient le déterminer à permettre cette translation. Avant de statuer sur toutes ces demandes, Paul III devait s'assurer du consentement de Guillaume Pellicier, du chapitre de Maguelone, de celui du prieur et des religieux de Saint-Germain, ainsi que de celui du cardinal Jean de Lorraine, archevêque de Narbonne, et du cardinal Augustin de Trivulce, abbé commendataire de Saint-Victor de Marseille. Tous donnèrent leur consentement. Paul III. signa alors sa bulle, le 6 des calendes d'avril (27 mars) 1536. Par cette bulle, le Pape réduit à l'état séculier l'église cathédrale de Saint-Pierre de Maguelone, érige l'église du monastère de Saint-Benoît de Montpellier en église cathédrale séculière, sous l'invocation de saint Pierre, apôtre, nomme Guillaume Pellicier , évêque de Montpellier, organise le chapitre de ce diocèse, enfin permet que les autels, les reliques, les ornements et autres objets qui sont dans l'église de Maguelone soient transportés ' dans celle de Montpellier. Il est dit aussi dans cette bulle que pour la garde de l'île et de l'église de Maguelone, on ^nommera. un capitaine avec deux soldats, et que pour le service des personnes nécessaires à l'église de cette île, on désignera trois hommes, dont un boulanger, chargé en même temps de la cuisine, un clerc chargé de nettoyer l'église et de sonner les cloches, et un batelier.

Pierre Lambert, évêque de Cazerte et référendaire du Pape, fit à Rome la publication de cette bulle, le 18;juin 1536, et l'adressa ensuite à Guillaume Pellicier, pour qu'il .eut à la faire exécuter. Cette commission fut dévolue à Pierre Trial, bachelier en droit canon, prieur de la Roque-Ainier, et un des collégiés de l'église Sainte-Anne.

Celui-ci accepta cette commission avec autant de respect que de bonheur. Le jour pris pour l'installation, il se rendit dans la grande salle du réfectoire du monastère de Saint-Germain, où les religieux et les chanoines de Maguelone étaient assemblés, et après avoir fait lecture-des mandats apostoliques qui lui furent remis, il se mit en devoir de les exécuter. Il ordonna, en vertu de la sainte obéissance, à toutes les personnes assemblées, d'avoir à se conformer dans les cérémonies, le rit, le rang et la manière de vivre, à ce que faisaient les chanoines séculiers des églises cathédrales circonvoisines. Les chanoines et les religieux, obéissant à cette injonction, se dépouillèrent des habits réguliers qu'ils avaient coutume de porter, et se revêtirent aussitôt de vêtements et de surplis, tels que les portaient les prêtres séculiers. Lorsqu'ils furent ainsi habillés, ils sortirent de la salle du réfectoire et se rendirent deux à deux jusqu'au cimetière, d'où ils marchèrent dans le même ordre vers la porte principale de l'église. S'étant arrêtés là, une nouvelle réquisition fut faite parles syndics du chapitre au prieur Trial, en lui présentant encore les mandats et les lettres apostoliques. Ce commissaire se mit alors à la tête de tous les chanoines et religieux , il les introduisit dans l'église, leur donna de l'eau bénite, ainsi qu'aux assistants, par aspersion, puis, faisant avancer les récipiendaires près du grand autel, il le leur fit baiser et leur donna un Missel à ouvrir. Il les conduisit ensuite dans la salle capitulaire, fit placer chaque membre du nouveau chapitre selon le rang qu'il devait avoir, et les ayant ramenés à l'église, il les fit entrer dans le chœur et asseoir dans les stalles qui leur étaient affectées. On entonna tout aussitôt le Te Deum, qui fut chanté avec l'accompagnement de l'orgue, et, l'hymne finie, on célébra avec beaucoup de solennité la messe votive du Saint-Esprit.

Le prieur, Pierre Trial, ayant ainsi procédé à l'installation, il lut à haute voix les noms des dignités, personnats, chanoines majeurs et mineurs de l'église cathédrale, soit présents, soit absents; il proclama les uns et les autres transférés, sécularisés et installés, et, sur la demande des syndics du chapitre, en fit dresser un acte authentique qui fut reçu par Guillaume Jay-maris, notaire de Montpellier, secrétaire du chapitre cathédral, en présence de Jacques Calmez, prieur de Villegly, diocèse de Carcassonne, de Pierre Anglade, prêtre, et de Jean Ranchin, licencié en droit.

Cette bulle d'érection du siège épiscopal de Montpellier, transféré de Maguelone, a été publiée en entier par Gariel, par d'Aigrefeuille et par les Bénédictins, dans les Preuves de la Gallia christiana, tome VI, col. 389. Elle a aussi été imprimée séparément en 1748, in-4°.

Lorsque le chapitre cathédral eut été installé, il s'occupa du recouvrement des revenus, tant de l'ancien chapitre de Maguelone que du prieuré de Saint-Germain, qui devaient être réunis et ne former désormais qu'une seule masse. Il donna à cet effet/ les pouvoirs nécessaires, et régla ensuite ce qui regardait la célébration de l'office divin, à l'exemple de ce qui était observé dans les autres églises cathédrales. Par acte du 15 mars 1537, reçu par le notaire Guillaume Jaymaris, il créa un office de bedeau, chargé d'être toujours au chœur, de marquer les cérémonies et de précéder les célébrants. Le premier que Ton y nomma fut un prêtre appelé Louis de Dorne.

A son retour des voyages qu'il avait entrepris, pour arriver à celte sécularisation, Guillaume Pellicier s'aperçut que le chapitre avait contrevenu, sur plusieurs points, à la bulle. Il réclama, et toutes les discussions qui s'étaient élevées à ce sujet, entre son chapitre et lui, furent terminées par une transaction dressée le 20 mai 1538, par le notaire Jaymaris. Nous ne parlerons que de deux articles de cette transaction. Le premier concernait les frais que l'évêque avait faits pour ses voyages ou pour l'expédition à la Chambre apostolique de la bulle de sécularisation, et dont il demandait le remboursement au chapitre, ainsi que des revenus de ses prébendes, dont il n'avait rien perçu depuis que la bulle avait été mise à exécution. Le second article était relatif au logement que le prélat voulait avoir dans le monastère de Saint-Germain, et que le chapitre était convenu verbalement de lui donner, dans une étendue suffisante et convenable à sa dignité. Guillaume Pellicier avait, d'ailleurs, dans la ville, une maison d'habitation qui dépendait de la mense épiscopale et qu'on appelait la Salle de l’Évêque.

Par la transaction que nous venons de citer, il fut convenu 1° que l’évêque donnerait aux commissaires du chapitre l'état des dépenses qu'il avait faites; et que ces commissaires lui en feraient le paiement ainsi que du montant des fruits de ses prébendes; 2° que le chapitre lui céderait, pour se loger, deux parties de la maison claustrale, dans lesquelles ne seraient pas comprises les pièces du rez-de-chaussée.

Cependant la France avait besoin à Venise d'un ambassadeur expérimenté. La paix durait encore entre Charles-Quint et le roi, mais tous les États d'Italie étaient en armes : les mômes sujets de discorde existaient toujours entre ces deux rivaux puissants prêts à entraîner leurs alliés dans leur querelle. II fallait déjouer les intrigues de l'empereur si supérieur à son adversaire dans ce genre de lutte, et maintenir Venise dans l'alliance de la France. Pellicier y vint en 1540 et soutint avec succès les intérêts de sa patrie. Ce poste n'était pas sans péril. C'est pendant son séjour à Venise qu'au mépris des droits les plus sacrés, deux ambassadeurs français, César Frégose et Antoine Rinçon, furent assassinés par ordre du marquis de Guast, gouverneur du Milanais. Dans une autre occasion, Pellicier fut exposé à une attaque personnelle. Le sénat poursuivait des traîtres qui avaient livré le secret de l'État au grand seigneur et qui étaient venus chercher un asile au palais de l'ambassade de France. Le sénat donna ordre d'aller les saisir et les portes ayant été fermées, on fit avancer du canon. Contraint de céder à la force, Pellicier n'obtint pour réparation que de vaines excuses. Mais de plus douces occupations délassaient le savant prélat. Versé dans la connaissance des langues grecque, hébraïque et syriaque, il fut chargé par le roi de recueillir des manuscrits d'auteurs anciens. Il apporta le plus grand zèle à l'exécution de cet ordre et parvint à ramasser à grands frais un nombre considérable d'ouvrages. Lorsque des feuillets manquaient à quelques-uns de ces manuscrits, il les faisait rétablir en copiant sur d'autres exemplaires qu'il se procurait : il faisait en outre copier des livres entiers qui ne se trouvaient pas à la bibliothèque du Louvre et qu'il ne pouvait parvenir à acheter. A mesure qu'il en avait recueilli un certain nombre, il les envoyait à Paris. On voit dans une lettre curieuse qu'il écrivait à François Ier, le 29 août 1540, et que Gariel nous a conservée, qu'il avait auprès de lui jusqu'à huit écrivains à la fois, et qu'à raison de cela, il demandait des fonds au roi. Ces manuscrits enrichissent aujourd'hui la Bibliothèque impériale. Les actes de son ambassade avaient été recueillis dans un manuscrit in-folio que possédait Colbert, un de ses successeurs dans l'évêché de Montpellier (Voir le Catalogue de sa bibliothèque, tome II, page 448).

Après la mort de François Ier en 1547, Pellicier laissé sans emploi revint à Montpellier et y reprit les rênes du gouvernement de son diocèse. Il y trouva les chanoines de sa cathédrale divisés entre eux. Le motif de cette division provenait de la distinction, faite par la bulle de sécularisation entre les chanoines majeurs et les chanoines mineurs, distinction que ceux-ci ne pouvaient supporter à cause de la différence .qu'elle établissait dans les revenus. Leurs contestations avaient été si vives qu'elles avaient été portées non-seulement au parlement de Toulouse, mais encore au conseil d'État, et même à la cour de Rome. Pellicier, à qui cette affaire fut renvoyée en 1549, proposa l'égalité des revenus, pendant la vie de tous ceux qui jouissaient des canonicats, à condition qu'on ne nommerait à aucun de ces bénéfices, jusqu'à ce qu'ils fussent réduits au nombre fixé par la bulle. Ce règlement eut la sanction du pape, du roi et du parlement, et l’évêque assura de cette manière, dans le chapitre, la paix et la concorde qui, depuis quelque temps en avaient été bannies.

En 1557, une discussion s'éleva entre le chapitre et les consuls, ouvriers et consuls de mer de Montpellier, au sujet des places que ces officiers prétendaient avoir dans Péglise d'après l'usage où ils étaient d'en jouir avant l'érection de cette église en cathédrale. Les syndics du chapitre s'opposaient à cette demande, les uns et les autres s'en remirent à la décision de Guillaume Pellicier. Ce prélat s'appuyant, dit Gariel (Series prœsulum Magalonensium) sur la maxime de l'Évangile, qu'il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, accorda aux officiers du consulat leurs places et rétablit de nouveau la paix et la tranquillité au sein du chapitre cathédral. Malheureusement, cette paix et cette tranquillité ne furent pas de longue durée; elles furent bientôt troublées par des événements qu'il n'était pas donné à la sagacité humaine de prévoir.

La doctrine de Calvin avait été implantée le 8 février 1560, à Montpellier, par Guillaume Mauget, ministre de Nîmes, qui ne tarda pas à être soutenu par Jean de Chassanion ou de la Chasse envoyé de Genève pour être ministre à Montpellier. Après avoir fait des prédications en secret et pendant la nuit dans des caves, les nouveaux sectaires se crurent assez forts pour célébrer publiquement leur culte, le 28 juillet de celte année dans la maison Didier-Baudier, puis dans la maison Mage, située rue Blanquerie, à l'endroit où se trouve aujourd'hui l'hôpital Saint-Eloi. Le parlement de Toulouse, pour arrêter les déclamations des prétendus réformés, sévissait contre les ecclésiastiques peu réguliers. Écoutant trop facilement de fausses délations, il ordonna l'arrestation de Guillaume Pellicier et la saisie de ses revenus. Ses liaisons avec Ramus avaient fait soupçonner ses sentiments religieux et l'on avait même inculpé ses mœurs. Le comte de Villars, commandant du Languedoc, exécuta avec rigueur l'ordre du parlement, et Pellicier fut enfermé au château de Beaucaire où il fut traité avec sévérité. Mais bientôt le clergé de Narbonne prit sa défense. Son accusateur fut poursuivi, et par un exemple bien rare, fut condamné à mort. Sa tête exposée sur une des portes de la ville y servit longtemps de monument de son crime et de l'innocence du prélat. Ce qui l'atteste avec non moins d'éclat, c'est que Pellicier ne perdit rien de la considération dont il était environné, et on le vit jusqu'à sa mort siéger dans l'assemblée des États de la province, soit en qualité de commissaire du roi, soit comme président.

Cependant les calvinistes s'étaient portés aux derniers excès dans sa ville épiscopale où ils s'étaient emparés de l'église de Saint-Matthieu. Pellicier, pour y mettre un terme, jugea à propos d'informer la Cour de ce qui se passait et d'implorer le crédit du cardinal de Lorraine et la puissance de. Catherine de Médicis. Sa lettre à cette princesse et la réponse du cardinal démontrent assez son orthodoxie. Voici ces deux pièces importantes pour l'histoire de notre prélat :

« Madame,

La ville de Montpellier qui avoit esté durant tant de siècles le throne de la dévotion et les chères délices de la Reine du ciel, est maintenant tombée, par le courroux de Dieu , dans un épouvantable gouffre de malheurs. L'hérésie qui dévore ce pauvre royaume et qui vous donne tant de peines et de soins, s'y est rendue la plus forte par l'infidélité de quelques apostats, et sa rage est venue jusqu'à ce point, que tout ce que l'histoire barbare a de plus noir, est trop peu de chose pour l'exprimer. Je ne vous diray point, Madame, ses sacrilèges, ses meurtres, ses impudicitez, ses parjures et ses blasphèmes. Vous n'aurez que trop souvent les oreilles battues et le cœur percé du récit de ces crimes, et ce n'est pas seulement icy qu'ils se commettent. Je ne vous diray point aussi les maux que mon clergé a soufferts, ni les funestes appréhensions qui se sont formées dans nos âmes : vos espines sont bien plus piquantes que les nostres, et quelques exposez que nous soyons à la gueule des tigres : nous n'avons pas tant d'ennemis à craindre ou à combattre que vous. Seulement, Madame, je vous suppliray très-humblement, et s'il m'est permis^ de vous parler ainsy, je vous conjureray par votre zèle à la foy, par votre affection envers le Roy et la Couronne, par votre compassion envers les affligés et par votre charité envers tous les pauvres catholiques, je vous conjureray, dis-je, Madame, de vous souvenir de nous et de procurer un ordre exprès à ceux qui ont l'honneur de commander les armées du Roy en province, afin que nous puissions réprimer les fureurs de ces monstres qui se promettent d'esteindre la vraie religion, et .d'enfermer dans un même tombeau tous les religieux , pour mettre en leur place des grenouilles de Genève ou des serpents de Zuric. Je prends la hardiesse d'en écrire à Sa Majesté; votre intercession peut tout, Madame; vous êtes notre refuge : si vous ne nous donnez quelques-unes de vos pensées, nous ne pouvons que périr, et ce serôit peu de chose que notre perte, si la foy ne couroit la même fortune. Faites, Madame, que nous soyons humainement redevables de notre salut à votre piété, et que vos veilles rendent à Dieu ses autels, aux catholiques leurs maisons et à tout le diocèse le repos qu'il a perdu, depuis que les nouveautés de l'ange exterminateur s'y sont glissées (Gariel, l’Origine, les changements et l'état présent de l'Eglise cathédrale de Saint-Pierre de Montpellier, Montpellier, 1631 , in-42, page 128). »

Le zèle de Catherine de Médicis ne manqua pas d'être ému par un langage si pathétique; elle intercéda auprès du roi, et le cardinal de Lorraine fit la réponse suivante à Guillaume Pellicier :

« Monsieur de Montpellier,

Je n'ay failly de faire entendre très-bien au Roy ce que vous m'avez écrit touchant les scandales et les illicites assemblées de ces malheureux hérétiques. A quoy, pour vous y avoir esté amplement répondu par Sa Majesté, je ne vous feray autre discours par la présente, sinon que je vous prieray avoir égard que c'est à nous maintenant de nous défendre , et à n'épargner aucuns de nos moyens et facultez, pour essayer à repousser les injures et les insolences de ces malheureux séditieux; et pour cette cause adviserez de suivre et accomplir ce que Sa Majesté vous a commandé par ces lettres, vous priant sur toutes choses d'avoir l'œil ouvert à ce que telles assemblées illicites et prédications défendues no se fassent en votre diocèse, dont advertirez d'heure à autre M. le comte de Villars qui aura la force et le moyen d'y remédier et qui a commandement de Sa Majesté de tailler en pièces tous ceux qui se voudront oublier en cet endroit. Et sur ce, je prieray Dieu de vous conserver en santé.

Vostre bon frère , CHARLES, cardinal de LORRAINE.

Ecrit à Argeville, l'an 1560. »


Cette lettre, extraite du Series presulum Magalonensium de Gariel, se trouve aussi dans l’Histoire des Églises réformées, de Théodore de Bèze, tome Ier, page 209, et y porte la date du 14 octobre.. Ces deux documents nous semblent suffisants pour laver l'évêque de Montpellier de tout soupçon de penchant aux nouvelles idées.

Le dimanche 4 mai 1561, et les dimanches suivants de ce -mois et du mois de juin, les catholiques de Montpellier firent dans les rues de la ville des processions publiques. Elles devinrent le motif d'altercations sérieuses avec les protestants, qui ne voulurent pas obtempérer à Tordre qu'on leur donnait de suspendre leurs travaux et de fermer leurs boutiques. Le désordre devint plus grand encore au sujet de l'inhumation de M. Bocaud, docteur-régent de la Faculté de médecine, mort le 8 juillet, et qui voulut être enterré comme calviniste. Sur ces entrefaites, Catherine de Médici, régente de son fils Charles IX, fit rendre en ce môme mois un édit par lequel le roi défendait toutes assemblées publiques avec ou sans armes, comme aussi les assemblées privées, où Von prêcherait ou administrerait les sacrements, autrement qu'il n'était ordonné par l'Eglise catholique, ensuivie par les rois de France depuis la foi par eux reçue.

Cet édit, publié à Montpellier le 30 août suivant, y reçut différentes interprétations, chaque parti voulant que l'Eglise catholique dont il était parlé fût la sienne. Aussi ne remédia-t-il à rien. Le 24 septembre, au matin, les protestants s'emparèrent de l'église de Notre-Dame des Tables qu'ils appelèrent le Temple de la Loge, et où Claude Formy, un de leurs ministres, fit sa première prédication. La façon dont ce coup de main fut préparé, est diversement racontée par les historiens. Suivant Théodore de Bèze et un manuscrit d'origine protestante, cité par dom de Vic et dom Vaissette, dans leur Histoire de Languedoc, l'enlèvement de cette église aurait été la représaille d'une provocation de l'évêque Guillaume Pellicier, cause d'un grand tumulte. Ce prélat, accompagné de ses gens, se serait présentée la maison, où François de Maupeau , ministre, tenait son prêche, et une rixe aurait éclaté entre les religionnaires et la suite de l'évêque. Les catholiques seraient venus au secours de Guillaume Pellicier; les protestants, de leur côté, se seraient considérablement accrus, et auraient pu aller s'emparer de Notre-Dame des Tables. Quoi qu'il en soit, ce fait constate une fois de plus les sentiments orthodoxes de l'évêque de Montpellier, que les menées des protestants obligèrent de quitter son diocèse et de se réfugier d'abord en son château de Montferrand, puisa Aigues-Mortes.

Dans cet intervalle, les prétentions des religionnaires s'accrurent à mesure que leur parti se fortifiait, et en l'absence de l'évêque, du gouverneur, du juge-mage, ils attaquèrent, le dimanche 19 octobre, l'église ou le fort Saint-Pierre, où bon nombre de catholique s'avaient cherché un refuge. Ici, comme pour Notre-Dame des Tables, les historiens ne s'accordent pas sur les termes de la capitulation que les catholiques sévirent contraints de conclure, mais ce qui est hors de doute, c'est que les calvinistes massacrèrent après cette capitulation seize ou dix-sept catholiques, entre autres le P. Béraud, gardien des Cordeliers, à qui ils reprochaient ses prédications trop amères contre eux, deux chanoines, trois officiers, et quelques soldats. L'église cathédrale fut alors entièrement saccagée et dépouillée.

Épouvantés de tous ces événements, les catholiques s'apprêtaient à abandonner Montpellier, lorsqu'un conseil général des chefs protestants, tenu le 30 octobre, fit défense à toute sorte de personnes de quitter la ville. Un édit que la reine fit rendre en ce même mois, enjoignit cependant aux chefs des calvinistes, de désemparer vingt-quatre heures après la publication qui en serait faite, les églises dont ils s'étaient saisis, de les remettre dans leur premier état, et de les laisser pour l'usage auquel elles étaient destinées, avec défense à tous sujets de s'injurier en se nommant huguenots ou papistes, l/édit fut publié le 20 novembre à Montpellier, et le lendemain les protestants, contraints d'abandonner l'église de Notre-Dame des Tables, transférèrent leur prêche à l'École-Mage et dans des maisons particulières; mais toutes les églises de la ville demeurèrent désertes. Deux jours après, le conseil de la réforme protestante fit sommer les chanoines de la cathédrale, de lui céder les trois églises de Notre-Dame, de Saint-Paul et de Saint-Matthieu, qui lui étaient nécessaires, et par une lâche et exécrable condescendance, le chapitre de Saint-Pierre consentit à cette cession par un acte du même jour reçu par Pierre Hilaire, notaire royal à Montpellier. Les signataires de cet acte furent, du côté du chapitre, Léonard d'Aiguillon, prévôt; Jacques Demanse, archidiacre de Valence; Jean Lebas, aumônier; Pierre Manny, Vincent de Rocheblave et Pierre Sollier, chanoines; et du côté des protestants, Michel de Saint-Ravy, commissaire du roi et conseiller en la cour des aides; Guillaume Rondelet, docteur-régent en l'université de médecine; Bertrand Manny, seigneur de la Tour; François Maigret, Pierre de Maupeau, bourgeois, et Nicolas Talard, notaire royal.

Nous avons dit que pendant ces troubles-, l’évêque Guillaume Pellicier s'était retiré quelque temps au château d'Aigues-Mortes • à une autre époque, il fut obligé de se renfermer avec son chapitre dans sa cathédrale et de s'entourer de préparatifs de défense. Plus tard, il se retira à Maguelone, où il s'empressa de rétablir le culte catholique, ainsi qu'à Villeneuve. Il ne revint à Montpellier qu'à la fin de 1563. Lorsque l'édit de pacification donné à Amboise, le 18 mars de cette année, eut été publié le H mai à Montpellier, et que Henri de Montmorency, seigneur -de Damville, gouverneur de Languedoc, eut fait son entrée en cette ville le 9 novembre, Pellicier le suivit et se hâta de rendre au culte le petit nombre d'églises qui n'avaient pas été détruites. La paix se maintint pendant deux années, après lesquelles les troubles se renouvelèrent avec plus de fureur. Enfin, il eut la douleur de voir, le 8 novembre 1567, sa cathédrale tomber, après quarante-huit jours de siège, au pouvoir des calvinistes, qui partagèrent entre eux pour en tirer rançon, les consuls, les chanoines et les principaux catholiques qui s'y étaient renfermés, en égorgèrent un grand nombre d'autres, pendant trois jours mirent l'église et l'ancien monastère au pillage, la détruisirent en partie et ne se retirèrent en ne laissant que des -cendres, des décombres et des murailles qui ressemblaient à de vieilles masures et qui ne servirent qu'à la retraite des hiboux et des oiseaux de proie.

Pellicier s'était réfugié, avant ces désastres, en son château de Montferrand ; ce fut là, qu'atteint dans les entrailles d'un ulcère causé par l'ignorance ou la malice d'un apothicaire, qui lui fit prendre des pilules de coloquinte mal broyées, ce prélat mourut le dimanche 25 janvier 1568. Ce jour-là même, ce qui restait du chapitre cathédral tenait sa première assemblée à Frontignan. Le corps de Guillaume Pellicier fut transporté sans pompe à l'église de Maguelone.

Ses vastes connaissances ont été louées par ses contemporains, parle président de Thou, Turnèbe, Scévole de Sainte-Marthe qui ne craint pas de l'appeler l'homme le plus savant de son siècle. Cujas et par quelques autres. L'histoire naturelle avait un -attrait particulier pour lui. Il consacra ses loisirs à des Commentaires sur Pline qui furent cités, avec éloge , du vivant de l'auteur, mais qui n'ont jamais vu le jour. Déjà, de son temps, de Thou en déplorait la perte. On assure cependant qu'ils se trouvaient dans la bibliothèque de Peiresc et dans celle des Jésuites de Paris. Le Père Hardouin paraît en avoir eu quelque connaissance. Guillaume Rondelet, professeur à Montpellier, et ami de Pellicier, reconnaît, dans son Traité de Pistions, combien il doit aux encouragements et aux secours de ce prélat. Tournefort lui attribue la découverte de plusieurs plantes, du teucrium scordium (germandrée aquatique), d'une espèce d'antirrhinum (muflier) distinguée parle nom de pellicerianum, monument solennel de son goût pour la botanique. La Faculté de médecine de Montpellier a honoré sa mémoire en faisant placer son buste dans son jardin de botanique, à côté de celui de Rondelet. Pellicier étendit ses recherches à d'autres écrivains de l'antiquité. Brotier, dans son excellente traduction de Tacite, annonce qu'il a fait usage des Notes de Pellicier sur cet historien, et il place son nom entre ceux de Muret et de Daniel Huet. Guillaume Pellicier portait les mêmes armoiries que son oncle.